Graffiti : histoire et origines des spots à Cergy-Pontoise

Des fresques aux couleurs vives recouvrent désormais les murs du quartier de Cergy-Préfecture. Le festival CAPS Attack organisé par l’association Art Osons en juin 2019, a laissé des traces : des graffeuses et graffeurs du monde entier, tels que Biate, Nexer, Horor, Enora, Kalouf, Sock, Kabrit, Farid Rueda, Meds et bien d’autres se sont armés de bombes pour donner un nouveau visage aux immeubles couleur brique de Cergy-Préfecture.

Le choix du lieu n’est pas anodin. Berceau de la culture graffiti, la gare de Cergy-Préfecture a été investie par de nombreux graffeurs de toute l’Europe dans les années 1980.

Focus sur l’histoire et les origines des lieux emblématiques de la scène graffiti cergyssoise. A cette occasion, Ndek, un artiste de Cergy très actif dans les années 1990, m’a fait part de ses souvenirs…

Nexer et Horor, membres de l’association Art Osons, ont aussi apporté des informations.


1986-1990 : la gare de Cergy-Préfecture

Construction du Centre Commercial des 3 Fontaines et de la préfecture, édification de la tour Bleue, implantation de l’ESSEC… Cergy, la ville nouvelle, est née au milieu des champs de blé, dans les années 1970. L’agglomération de Cergy-Pontoise a été construite dans le but de sauver Paris de l’asphyxie urbaine. Afin d’accompagner son développement, la gare de Cergy-Préfecture voit le jour en 1979 et devient le centre urbain de l’agglomération. Des mètres carrés de murs blancs s’étendent alors à perte de vue… Terminus de l’actuelle ligne L du réseau Transilien, la gare de Cergy-Préfecture fut investie par les tagueurs et les graffeurs de l’ouest parisien, échauffés par un esprit vandale et créatif.

1965-1969. Préfecture du Val-d’Oise, Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) : « Cergy-Pontoise, naissance d’une ville », couverture d’un publi-reportage « Paris-Match »

« En 1986, c’est le crew CAS (Candidats Au Suicide) qui réalise le premier graff », explique Ndek. Parmi les membres des CAS, les jeunes Kut.s, Yank, ou encore Tchan posent les premiers tags, la nuit, sur les parois lisses de la gare. « Les CAS sont le noyau dur, poursuit Ndek. Ils ont nourri la première génération des graffeurs de l’agglomération. Tous les graffeurs de l’ouest parisien, plus particulièrement de Nanterre, comme Sino ou encore Asa, sont ensuite venus à Cergy-Préfecture pour poser leur blaze. » Large, cloisonnée et surtout visible par de nombreux voyageurs, la gare de Cergy-Préfecture était le lieu idéal pour peindre. La superficie permettait aux œuvres de perdurer, puisque celle-ci offrait suffisamment d’espace aux différents crews.

A partir de 1991 et pendant de longues années, c’est au tour des membres du crew GAP (Ndek, Scred, Deks, Risote, Wo, Holem, Mile, Alzo, Orphé…) d’imposer leur lettrage. « A l’époque, on avait 15-17 ans, se souvient Ndek. On graffait la nuit, à la fin du service entre 2h et 5h du matin. » Avec émotion, Ndek évoque son premier tag dans la gare de Cergy-Préfecture, avec Zepha :

« La peinture s’appelait ‘Color Shock’. C’était comme un rite de passage. On était fier de notre premier tag. Le GAP était une incroyable aventure humaine, liée à l’idée de porter un drapeau et des valeurs communes. »

GAP – 1986. Source : Ndek

Véritable fief de la culture graffiti, Cergy-Préfecture a vu grandir des générations d’artistes. En juin dernier, ce sont les graffeurs du festival Caps Attack qui ont pris la relève et revêtu les murs du quartier de Cergy-Préfecture de fresques colorées.

Fresques Cergy-Préfecture, juin 2019 – Source : 13commeune.fr

1992-2003 : la piscine de Pontoise

Ancienne piscine de d’Hôtel-Dieu à Pontoise, photo d’archive. Source : Pontoise Infos (bulletin municipal)

Ouverte en 1972 et fermée en 1992, l’ancienne piscine de l’Hôtel-Dieu à Pontoise, près des bords de l’Oise, a été l’un des hauts lieux de la scène graffiti de l’agglomération. Longtemps laissé à l’abandon, l’immense terrain désaffecté a réuni de nombreux graffeurs comme Erwin, Acmé, ou encore les membres du GAP, jusqu’à sa démolition en 2003. « Les bassins, les gradins et les murs étaient recouverts entièrement, précise Ndek. Beaucoup de monde s’y retrouvait. »

A cette époque, le graffiti évolue alors dans un style plus coloré avec l’introduction de personnages, comme ceux d’Acmé, en volume.

Ancienne piscine de d’Hôtel-Dieu à Pontoise, 2002. Source : Pontoise Infos (bulletin municipal)

1993-1997 : le skatepark de Cergy-le-Haut

Dans les années 1990, le skatepark de Cergy-le-Haut devient aussi l’emblème de la culture graffiti. On retrouvait principalement la scène locale âgée de 15 à 25 ans, comme Skeno ou le crew AEM. Cependant, les œuvres étaient plus éphémères, vouées à l’effacement, jusqu’à la destruction du skatepark en 1997. « Les sessions au skatepark étaient très spontanées, explique Ndek. Mais c’était surtout des moments de règlement de compte, à qui fera le plus gros graff, le plus haut, avec un style toujours plus recherché », poursuit-il. Aujourd’hui, il ne reste qu’un vestige du skatepark.

2004- 2017 : la station d’épuration de Pontoise

Les murs sales et ronds de l’ancienne station d’épuration de Pontoise ont aussi été marqués à coups de bombes aérosol. « La forme ronde des murs rendait difficile la pratique du graffiti », relate Ndek.

Implantée Chemin de la Pelouse au bord de l’autoroute A15, la station d’épuration a été démolie seulement en 2017 pour y construire un club de tennis. Des têtes bien connues de la scène graffiti de Cergy-Pontoise se retrouvaient sur l’immense terrain en friche, comme les crews A2R et 95C.

Ancienne station d’épuration de Pontoise

2014 à aujourd’hui : Ham

Idéal pour les grands formats ou les fresques en équipe, le pont de Ham fait partie des spots les plus récents de Cergy. Situé sur les bords de l’Oise à Cergy, le passage est peu fréquenté. Avec Ham, une nouvelle génération débarque : les street-artistes locaux Horor et Shekra sont les premiers à investir le lieu en 2014, attirés par la superficie immense du mur sous le pont. L’année suivante, Horor et Nori exploitent le lieu plus fréquemment. « On s’entraînaient pas mal à réaliser des grandes fresques », se souvient Horor. Quelques temps après, ce sont les membres de l’association cergyssoise Art Osons, puis le crew OEAqui rejoignent les deux artistes, pour réaliser des fresques à plusieurs.

Aujourd’hui, Ham est un spot très (trop ?) connu par les graffeurs de Cergy. De plus en plus de passage dissuade les artistes de venir, sachant d’avance que leurs productions seront recouvertes rapidement. « Toutes les équipes du coin s’y retrouvent, raconte Nexer, graffeur et membre d’Art Osons. Les productions sont éphémères, visibles à peine une semaine, à notre regret. » 

Ham, Cergy : fresques Kelkin & L’oЯa ; Nexer – juillet 2019 © Laura Barbaray

Depuis les années 1980, les terrains et les pratiques à Cergy ont évolué : les oeuvres durent moins longtemps, sans cesse recouvertes par d’autres fresques, mais photographiées sous tous les angles pour alimenter les réseaux sociaux des street-artistes. La passion de la pratique vandale semble faiblir, pour se diriger vers une pratique en terrain et légale. Sans contrainte de temps, les artistes produisent ainsi des oeuvres plus travaillées.

Ham, Cergy © Laura Barbaray

Sources :