Simon Beck : le génie du flocon

Qui n’a jamais été émerveillé devant un paysage de montagne à la neige immaculée et scintillante ? Simon Beck, snow artiste britannique, en a fait sa toile de fond. Cet ingénieur diplômé de l’université d’Oxford était cartographe et passionné de courses d’orientation avant de se consacrer pleinement à cet art. 

COMMENT LE SNOW ART EST Né

Tout part de l’obsession.

A l’université d’Oxford, Simon Beck était en effet obsédé par les courses d’orientation. Son goût pour le plein air et les activités sportives occupait tout son temps libre, jusqu’à devenir cartographe. 

En 2004, il vend sa maison à Bracknell et achète un appartement aux Arc 2000 (région Auvergne-Rhône-Alpes) avec en tête de skier au maximum et retourner de temps en temps en Angleterre, pour dessiner des cartes comme gagne-pain. Après une journée de ski en décembre 2004, lui vient l’idée de dessiner une étoile sur le petit lac gelé devant chez lui. Mais pas n’importe comment ! En cartographe qui se respecte, il note les repères avec sa boussole qu’il relie, et rajoute des figures grossièrement régulières pour remplir l’espace restant. Vu du télésiège voisin, le rendu est impressionnant. Le snow art est né!

© Simon Beck : rosace sur le Lac Marlou

Il ne s’y est pas immédiatement consacré, car les courses d’orientation restaient à l’époque son obsession principale. En 2006, il s’offre une paire de raquettes puis son premier appareil photo numérique, pour diffuser ses œuvres sur la toile.

à L’ASSAUT DU FLOCON

Commence alors sa nouvelle obsession pour la neige, qu’il magnifie à l’aide de ses connaissances scientifiques, sa passion pour l’orientation, et une paire de raquettes.

Le processus de création est l’inverse de la cartographie : il crée un motif et le transpose sur la neige en un temps limité. Ne cherchons pas de message codé dans les motifs de prédilection de Simon Beck, il n’y en a pas ! La grande majorité est d’inspiration scientifique, tels le flocon de Koch (coupe fractale inventée par le mathématicien suédois Helge Von Koch en 1904), l’ensemble de Mandelbrot (objet fractal) ou encore le triangle de Sierpsinski (objet fractal réalisé par Sierpsinski à partir d’un triangle équilatéral). Il privilégie en effet les motifs mathématiques ou des dessins crayonnés dans son enfance, qui ont des effets différents selon le point de vue et qui lui nécessitent peu de temps de préparation. N’oublions pas l’obsession de Simon Beck pour le grand air et l’activité physique !

© Simon Beck : croquis inspiré de l’ensemble de Mandelbrot près de son appartement aux Arc 2000

La toile blanche idéale est un lac gelé, peu fréquenté des skieurs, avec des conditions météorologiques prévisibles. C’est pourquoi le lac Marlou situé près de son appartement aux Arc 2000 et qu’il connaît parfaitement, reste son site de prédilection. Ses connaissances scientifiques ont tout de même une certaine limite quant au choix du terrain, il peut en effet être frustrant de ne pas connaître parfaitement les massifs montagneux du monde entier, ni pouvoir anticiper tous les aléas météorologiques. Simon Beck a dû abandonner certaines de ses œuvres à cause d’avalanches, de brouillard qui troublent ses plans et ses repères ou tout simplement par l’arrivée de la neige.

© Simon Beck : Grille polaire en spirale sur le lac Marlou, avec des cercles dessinés à l’intérieur du réseau. Simon Beck a ajouté par la suite des champignons magiques et un grand space invader

La création d’une œuvre rappelle la technique “a fresco”, qui prédomine avant l’arrivée de la peinture à l’huile à la Renaissance. Tout comme la fresque, Simon Beck n’a pas droit à l’erreur, chaque pas doit être parfait, il n’y a pas de retour en arrière. L’étape de préparation est donc primordiale et doit être scrupuleusement respectée. Seuls les cercles sont réalisés au jugé, car utiliser une corde comme repère laisserait une trace au centre. En revanche, les outils utilisés sont loin d’être semblables au pinceau traditionnel d’un peintre de la Renaissance : raquettes, bâtons, boussole prismatique et corde de mesure sont les rares ustensiles qu’il emporte avec lui en vue d’être le moins chargé possible.

LE SNOW ART AU SOUTIEN DE LA NATURE

Le snow art, tout comme le land art, utilise la nature comme support, et en est tributaire. La démarche artistique, intimement liée à la fragilité de l’environnement, a pour intention de sensibiliser le public au respect de l’écologie. Pour la sortie de la saison 6 de Game of Thrones, Simon Beck a réalisé “Winter is coming” représentant un loup-garou, clin d’œil à la lutte contre le réchauffement climatique.

Les œuvres monumentales et envoûtantes de Simon Beck ne sont pas non plus sans rappeler les jardins japonais des temples de Kyoto. Le minimalisme est de rigueur dans les deux démarches, le but étant d’idéaliser la nature en limitant au maximum les artifices. Il a ainsi rendu hommage aux victimes du tremblement de terre et du tsunami de 2011 au Japon, avec une version courbée du flocon Von Koch aux Arc 2000 en mars 2012.

Un autre projet lui tenait à cœur :  la restauration du carillon de l’église Saint Mary, Taunton, Somerset en Angleterre. A cet effet, le profit issu de la vente de cartes postales représentant les deux étages supérieurs de l’église a été reversé pour la restauration de son carillon.

© « L’église » représente St Mary’s Tower, Taunton, Somerset en Angleterre

Simon Beck est parti en croisade environnementale, en mettant en valeur la neige, incarnation parfaite de la fragilité de la nature par son côté éphémère. La beauté des montagnes, le besoin de froid et de s’éloigner de l’urbanisation oppressante sont les principes que Simon Beck défend par son art. Il a ainsi lancé une collection éphémère avec le spécialiste néo-zélandais de mérinos Icebreaker au profit de l’association “Protect Our Winters” qui vise à sensibiliser les sportifs aux changements climatiques. 

Dans cette optique, Simon Beck a pour projet futur de fonder une école de snow art pour transmettre et sensibiliser le public aux problématiques environnementales. Il pourrait ainsi créer des dessins toujours plus élaborés, et dévoiler les derniers espaces naturels épargnés.

ET LA NATURE DEVIENT GALERIE D’ART

Après avoir réalisé ses œuvres, Simon Beck les immortalise avec un appareil photo numérique. 

Dans la plupart des cas, il réalise une photo aérienne, quand le soleil est bas. Il faut donc anticiper une journée ensoleillée pour obtenir un rendu parfait. Certaines de ses œuvres n’ont ainsi pu être immortalisées car toutes les conditions pour un rendu parfait n’étaient pas remplies. N’oublions pas que les circonstances restent extrêmes par le froid, qui diminue de surcroît la capacité de batterie de ses appareils photos. Les séquences en time-lapse nécessitent donc un système de chauffage supplémentaire.

© Simon Beck : Photo prise avec le mauvais appareil sur le lac Marlou et l’Abreuvoir 2011

Simon Beck véhicule ainsi ses réalisations à travers des cartes, des vidéos, des photographies aériennes et clichés panoramiques, qu’il diffuse sur les réseaux sociaux et internet. Son ouvrage Snow artpublié en 2014 recense un certain nombre de ses œuvres.

Son statut d’artiste est donc converti en agent culturel, transformant la nature en galerie d’art, d’où l’importance capitale du choix du site. L’emplacement se transforme en expérience intellectuelle : il n’est plus l’objet de contemplation, mais bel et bien le sujet d’une démarche artistique et conceptuelle pour mettre en valeur l’aspect virginal de la nature.

La nature n’étant pas figée, tout comme l’art, Simon Beck souhaite réaliser des prises de vue au coucher du soleil ou même aux aurores.

Bien que fondateur de cette discipline, Simon Beck n’est pas le seul artiste à exploiter la neige. La land artiste d’origine allemande Sonja Hinrichsen s’inspire des crop circles des champs de céréales britanniques de la fin des années 70’s pour réaliser des dessins sur la neige. Son œuvre Snow drawing at Catamount Lake in Colorado (2013) réalisée avec l’aide de bénévoles dans le cadre d’un projet communautaire. Sonja Hinrichsen voulait que les participants “ressentent les éléments de la nature lorsqu’ils l’aident à transformer les paysages enneigés qui leurs sont familiers en œuvre d’art”. Sonja Hinrichsen estime qu’il est important, surtout à une époque où nous sommes de plus en plus déconnectés de la nature, de modifier notre perception de l’environnement naturel pour nous émerveiller et les apprécier à leur juste valeur.

© Sonja Hinrichsen à Catamount Lake, Colorado, USA (2013)

Le couple de street artistes Ella & Pitr, amateurs de supports insolites et de fresques gigantesques, ont également réalisé une œuvre sur la neige. En janvier 2018, ils ont dessiné un géant nu et jovial au Parc de Couriot à Saint Etienne illustré par la légende “Certains pleurent, d’autres rient”.

En attendant une nouvelle œuvre aux Arc 2000, Simon Beck continue de réaliser ses dessins dans le monde entier, avec comme souhait depouvoir faire abstraction de tout ce qui n’est pas pure création artistique, pour que son nom reste gravé à jamais dans la neige.


BIBLIOGRAPHIE :

Photos :

  • Photo 6 : HBO ; Sky Atlantic
  • Photo 11 : Site internet de Sonja Hinrichsen
  • Photo 12 : compte Instagram de Ella et Pitr
  • Toutes les autres photos proviennent de l’ouvrage Snow Art de Simon Beck