Derrière ces muraux titanesques –à l’exemple de l’œuvre de l’australien Fintan Magee réalisée sur des silos de quelques trente mètres de haut- se cache toute une équipe bien rodée d’acteurs de l’ombre et de petites mains qui s’occupent de repeindre des façades entières en noir pour tel artiste (Henrik Uldalen, No), collecter des gravats pour l’installation d’un autre (Jaune, Be), ou encore manier la tronçonneuse pour la tentative de mise en échec de Google Earth d’un troisième (MTO, Fr). Dans cette ville côtière du sud de la Norvège du nom de Stavanger, tout commence par un « call for walls » (appels aux murs) plusieurs mois avant le festival. Les conditions sont simples : le « mur » doit être situé dans un espace public accessible et visible par tous, et le festival demande à son gracieux propriétaire de ne pas repeindre l’œuvre pendant une durée d’au moins un an. Comme les nombreuses œuvres égrainées ça et là dans la ville le montrent au fil des années, la plupart vont bien au-delà de ce délai de principe.
Enfin, après des mois de communication et d’organisation en coulisse de l’événement et d’appel à bénévoles – car Nuart est un festival entièrement gratuit – arrive la tant attendue semaine de « production », pour laquelle quatorze artistes de toute nationalité et pratique urbaine ont cette année convergé vers la ville.
Pendant ces quelques jours, leur mission sera de réaliser au moins deux œuvres chacun: l’une en extérieur (sur une des façades d’immeubles de la ville) et l’autre en intérieur, (dans une ancienne brasserie attenante aux bureaux du festival qui tient lieu de galerie).
Avec quatorze artistes au programme (Add Fuel, Axel Void, Evol, Fintan Magee, Henrik Uldalen, Hyuro, Jaune, Jeff Gillette, KennardPhillipps, MTO, Nipper, Robert Montgomery et Spy) et plus d’une vingtaine d’œuvres à la clef, les délais sont courts et les obstacles au rendez-vous, le premier étant celui du climat, car les pluies nordiques impromptues ont vite fait de faire couler les peintures fraîches et perdre aux artistes plusieurs heures de travail. Pendant cette semaine où se prépare la cuisine du street art, au milieu des échafaudages et des grues automotrices, une horde d’assistants aux allures d’ouvriers vont et viennent pour répondre aux besoins des artistes à toutes heures, leur apporter à déjeuner sur les murs, voir les aider à peindre leur œuvre pour tenir les délais de production et que tout soit prêt pour le lever de rideau prévu le samedi soir.
Cependant, les festivités commencent un peu avant, puisque la spécificité de Nuart est d’être ancré sur une solide base théorique et de proposer conférences et débats d’idées en profondeur sur le courant de l’art urbain, son passé et son avenir. Cette année, Nuart célèbre le 100ème anniversaire de Dada et le 500ème anniversaire de la parution d’Utopie de Thomas More. Nuart Plus invite ainsi artistes et critiques à parler du « post-street art », du rapport entre utopie et création, dadaïsme et destruction, de l’art de la négation, de la décolonisation de l’espace urbain ou encore du droit dans la ville.
Le thème du festival, les artistes sont ensuite libres de l’interpréter à leur guise et en accord avec leur pratique artistique : à rebours, pour l’artiste norvégien Henrik Uldalen, dont l’œuvre est fondée sur une vision nihiliste et dystopique du monde, ou à bras le corps pour Nipper, qui dissémine dans la rue des pochette plastiques contenant ses œuvres originales ainsi que des textes personnels que les passants peuvent prendre à condition de laisser quelque chose d’autre à la place -une manière de susciter une nouvelle forme de dialogue urbain et d’encourager la créativité dans la ville.
Mais les dessous d’un festival, c’est surtout une joyeuse communauté de curateurs, de journalistes, de photographes, de spécialistes, d’amateurs, de bénévoles et d’artistes de tous horizons qui se retrouvent à intervalle semi-régulier dans différentes villes du globe pour échanger, travailler ensemble, boire de la bière et passer du bon temps dans un esprit « anti-establishment » bon enfant. Ce qui les rassemble ? Une vision pour la ville, une critique de la société, ou tout simplement la folie des grandeurs.
Article & Photos par Hélène Planquelle