« Le collage est la reconnaissance par le peintre de l’inimitable, et le point de départ d’une organisation de la peinture à partir de ce que le peintre renonce à imiter, une affiche, une boîte d’allumettes, qu’importe. » (Louis Aragon)
Vendredi 8 septembre 2017. Paris sous la pluie. La capitale n’est que plus embellie par la vue spectaculaire surplombant les célèbres toits parisiens. Au loin, la tour Eiffel triomphe telle une reine. Le collagiste Itchi, collectionneur passionné, m’accueille dans son atelier, une petite chambre de bonne perchée au sixième étage d’un immeuble montmartrois.
Rencontré au vernissage privé de Noty Aroz en juin dernier, Itchi me fait entrer dans son univers onirique des années passées.
Itchi, tu portes un nom d’artiste bien original. D’où vient-il ?
Je m’appelle Sacha, et Itchi est un dérivé. Mes amis m’appelaient Sachi, et puis avec le temps c’est devenu Itchi. C’est également un clin d’œil à Itchy & Scratchy dans les Simpson.
Quel a été ton parcours afin de trouver une place dans le monde de l’art ?
J’ai fait une école d’arts appliqués, l’ISAA à Paris. A l’origine je suis graphiste. Avec deux amis, nous avons monté un collectif qui s’appelle les « Mégalos ». On n’avait pas du tout d’expérience, alors se lancer en tant que graphistes indépendants s’avérait difficile pour trouver du travail.
De ce fait, j’ai eu pas mal de temps libre. J’ai développé différentes techniques et des projets personnels. Je me suis aperçu que le collage plaisait plutôt bien, j’ai réalisé un ou deux projets d’illustration. Puis, petit à petit j’ai découvert toute une communauté de collagistes dont je me suis inspiré. J’ai appris aussi que les sources des images pour faire les collages étaient importantes. Alors j’ai commencé à récupérer des vieux magazines, je m’y suis vite pris au jeu ! Au fur et à mesure je postais mes créations sur Flickr, l’instagram des années 2000. Des groupes de collagistes postaient également leurs œuvres, ce qui a créé une communauté.
Ainsi, j’ai débuté dans le monde de l’art en m’éloignant du travail de design graphique pur et en développant un univers personnel. Tous mes travaux sont désormais autour du collage.
En constituant un petit réseau, via le bouche à oreille ou via les réseaux sociaux, je réponds à des commandes essentiellement pour la presse ou des galeries. Le plus gros travail que j’ai élaboré, c’était l’année dernière pour l’hôtel Renaissance Paris République qui souhaitait une décoration dans l’esprit des années 1950-60. J’ai fait une quarantaine de collages qui décorent les couloirs, les chambres et la salle de restaurant. J’ai été contacté par la plateforme Balibart qui proposait à l’époque des tirages d’illustrateurs en édition limitée. Désormais, on peut créer notre « shop » nous-même. Dans mon cas, ils ont joué le rôle d’agent.
J’ai aussi réalisé des illustrations pour un article du magazine L’instant Parisien, et une affiche d’un film croate indépendant « Happily Ever After ».
Dans tes œuvres, tu utilises des images anciennes, souvent tirées de vieux journaux. Quelle est ta démarche artistique ? Peux-tu nous expliquer le processus de création de tes œuvres ?
Le processus de création est toujours le même : fouiller dans les magazines. Je commence à avoir une grosse collection ! Je m’oriente plutôt vers les magazines de mode, de cinéma, de reportages comme Paris Match. Je les trouve sur e-Bay, Le Bon Coin, ou lors de vide-greniers. En ce qui concerne mon travail personnel, l’idée est de parcourir les magazines sans chercher quelque chose de précis. Ce sont les images qui vont me plaire. Ensuite, je construis l’œuvre autour d’une photo, d’une image qui m’a interpellé. En revanche, le procédé est différent pour les commandes : je cherche des images bien particulières. Il m’arrive parfois de mixer les matériaux, par exemple la peinture, les pastels, le calque…
Ma démarche artistique consiste à replacer des images anciennes peu connues dans mon univers et leur redonner une touche de modernité.
Si tu devais choisir une œuvre parmi tes collages, laquelle serait-elle ?
Le collage qui pourrait représenter le plus mon travail, ce serait celui utilisé pour ma première exposition en 2015. Il se nomme « Hang Time ». En basket « hang time » c’est le temps où l’on est en l’air et en anglais « hang » signifie « accrocher ». Pour ma première exposition solo, c’était le moment d’accrocher mes œuvres ! Le jeu de mot s’y prêtait bien. On peut penser aussi au temps suspendu : prendre des images d’un ancien temps pour les réutiliser aujourd’hui.
Tes œuvres font penser à des photomontages, que l’on peut réaliser aujourd’hui avec des logiciels informatiques. Selon toi, quelle est la finalité d’utiliser des vieux souvenirs, des photos anciennes avec la technique du collage ?
J’aime le travail à la main pour le rendu visuel. J’aime sentir les textures, froisser le papier. Évidemment, on peut le faire par ordinateur mais ça ne sera jamais la même sensation. En revanche je ne suis pas contre les montages digitaux. Par exemple, un artiste que j’admire et qui m’a donné envie de faire du collage, Julien Pacaud, réalise du collage numérique. Le rendu est superbe.
Pour moi, le travail à la main me permet d’avoir une vue d’ensemble. Cependant, j’ai réalisé des images mixtes : par exemple, je colle à la main des photos et ensuite je vais rajouter certains éléments à l’ordinateur comme des traits, pour ajouter un côté graphique et géométrique.
Tes œuvres semblent inspirées des mouvements dadaïste et surréaliste par la juxtaposition des formes géométriques. On peut citer le dadaïste Raoul Hausmann avec ses photomontages ou encore le surréaliste Max Ernst. Revendiques-tu également une liberté d’expression en jouant avec la matière ? Souhaites-tu créer un nouveau langage artistique en créant de nouvelles associations visuelles ?
Il y a beaucoup de liberté dans ma démarche artistique, je n’ai jamais une idée préconçue. En effet, les magazines des années 1950-60 rappellent ces mouvements. Je m’inspire aussi des constructivistes russes des années 1920 dont la tendance artistique se concentre sur la composition géométrique rigoureuse.
Je mixe les oppositions ancien/moderne, deux univers qui s’unissent. Ces associations visuelles peuvent constituer un langage artistique dans le sens où ma démarche consiste à faire revivre des images anciennes, à les intégrer à notre époque.
Peut-on définir ton œuvre de « poétique » ?
La notion de hasard, au cœur de ma démarche, peut faire penser au cadavre exquis. Des associations visuelles vont construire un univers onirique. L’image, ses couleurs, son aspect esthétique me guident. Le but est de sortir les clichés de leur contexte. Les images que je choisis sont parfois nostalgiques et rappellent une époque lointaine, à laquelle on rêve souvent. Si je peux faire voyager les gens le temps d’une image, mon pari est réussi !
Je souhaiterais revenir sur ta collaboration avec Noty Aroz. Quelle a été ton interprétation du personnage « El Murciélago » ?
Lorsque Noty Aroz m’ont contacté, je ne connaissais pas parfaitement leur univers. Je n’ai pas pensé à une interprétation particulière du personnage. Le principe était d’appliquer mon ambiance sur leur personnage. J’ai réalisé deux collaborations avec eux. L’objectif de la collaboration était la contrainte d’une nouvelle technique : le grand format. Cependant, sur la première collaboration, j’ai gardé des éléments de leur univers : les fleurs et le signe de Batman. Sur la deuxième, j’ai davantage pensé à la pièce, au format, j’ai donc pu mieux l’appréhender.
Envisages-tu des collaborations avec d’autres artistes ?
Le sujet a été évoqué avec le street-artist J3 qui réalise des labyrinthes à la craie dans Paris. Je ne travaille pas dans la rue, mais cela me plairait d’essayer. C’est un véritable travail d’agrandissement. Autrement, je collabore avec des collagistes allemands ou encore colombiens par correspondance. J’envoie le début d’un collage, ils le complètent, et inversement. Les résultats sont surprenants et vraiment sympas. C’est une sorte de cadavre exquis encore une fois.
Que t’évoque le street-art ?
Le street-art m’a véritablement incité à me lancer dans la création artistique en observant mes amis taguer dans la rue. C’est un art accessible à tous. Selon moi, le street-art met à disposition un même lieu : l’univers urbain. Dans cet univers unique, la création est florissante et variée, chacun apporte ses compétences. On ne voit jamais la même chose.
As-tu des expositions de prévues ou en cours ?
Depuis le 26 septembre, je fais une expo-vente à Gambetta avec plusieurs artistes, jusqu’au 1er octobre. En janvier 2018 en Belgique, une exposition collective dédiée au collage est prévue, jusqu’au mois de mai. En février 2018 à Paris, une exposition également consacrée au collage se tiendra à la galerie 3F à Abbesses. Enfin, en décembre 2018 à Montpellier, se déroulera une exposition en collaboration avec un artiste dont j’ignore l’identité pour le moment.
Quels sont tes projets pour l’avenir ?
J’aimerais réaliser un livre qui regrouperait l’évolution de ma démarche, mais je n’ai pas encore d’idées bien précises. Et pourquoi pas réussir à consacrer 100% de mon temps à des projets personnels ! Cela fait également partie de mes aspirations pour l’avenir.