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Màs, l’art de transmettre

Màs, artiste urbain depuis une vingtaine d’années, égaye avec toujours autant de passion les murs de Bordeaux, et de ses alentours. Également membres du collectif Le Grand Cru avec Möka et Blade, ils participent ensemble à la création de fresques murales remarquables, et organisent aussi de nombreux ateliers pédagogiques pour les jeunes et les moins jeunes. Pour Màs, transmettre son savoir-faire est essentiel.

Rencontre avec Màs, devant une de ses dernières fresques, le long de la côte de la Vieille Cure, à Cenon.

Quel a été ton parcours afin de trouver une place dans le monde de l’art ?

Contrairement à beaucoup de street artistes qui sont arrivés dans le graffiti par eux-mêmes, de manière autodidacte, moi, j’ai eu un parcours classique. J’ai fait une école d’art graphique à Nantes, et, par cette école j’ai rencontré pas mal de graffeurs. Pendant cette période, je me suis rendu compte que les petites toiles que je faisais, je pouvais les faire sur des murs immenses, et c’est ce qui m’a amené vers le graffiti.

C’est réellement l’aspect graphique et l’aspect massif qui m’a amené vers le graff.

Quand as-tu commencé à peindre dans la rue et pourquoi ?

J’ai touché le premier spray à l’âge de 17 ans ; ça devait être en 1993. J’habitais à Bourges, et des graffeurs internationaux sont venus pour faire une peinture chez nous. Je me suis intéressé au truc, j’ai été les voir. En 1993, le graffiti était inconnu de chez inconnu en province, c’était Paris et basta.

J’ai demandé au mec si je pouvais essayer, il m’a fait tester, puis j’ai continué à peindre… J’ai trouvé l’outil magnifique parce que ça permettait de faire des choses qu’aucun autre outil permet de faire. Et j’ai réussi à trouver un style grâce à ça.

Par contre, c’est bien une dizaine d’années après que je m’y suis mis professionnellement…

C’est quoi ta spécialité ?

Je travaille essentiellement dans le figuratif, dans le réalisme, et je me suis rendu compte que c’est ce qui parle aux gens.

Peindre dans la rue, ce n’est pas uniquement imposer quelque chose, c’est aussi vouloir toucher les gens. Le mec qui n’a pas envie de voir ta peinture, il la voit quand même. L’art, avant le graffiti, c’était réservé à une élite dans les galeries, et les gens qui ne voulaient pas le voir ils n’y allaient pas. Aujourd’hui, on sort tout ça, et on le met dans la rue pour tout le monde ; pour ceux qui aiment, comme pour ceux qui n’aiment pas. Je ne sais pas si ça va continuer à plaire, mais pour l’instant c’est ce qui parle aux gens. Et moi, c’est réellement ce que je veux ; c’est que les gens, même s’ils n’aiment pas, ils puissent en parler, sans dire « je ne comprends pas ce que t’as fait ».

Peux-tu nous parler un peu de ce mur devant lequel nous nous trouvons ? 

J’ai commencé par faire une peinture dans le quartier Beausite, qui a plu directement aux bailleurs sociaux qui m’avaient commandé ce mur, et au maire de la ville de Cenon. Ils m’ont donc proposé directement un autre projet, dans le même quartier, juste en face de la cité, sur un mur tout gris dont ils ne savaient pas quoi faire…

Moi je leur ai proposé des maquettes qui leur ont plu, et ils m’ont dit bingo !

Mais j’ai sous-estimé le travail, parce que pour moi les 260 mètres de mur c’était 26 mètres ahah. Ce n’est vraiment qu’au fur et à mesure du travail que je me suis rendu compte de la longueur du mur, et surtout de sa visibilité. En tout ça a duré 7 mois, et ça m’a permis d’échanger avec toute la population de ce quartier, de Cenon, parce que les gens klaxonnaient, s’arrêtaient, discutaient…

En plus de ça, c’est quelque chose qui va rester pérenne ; je sais que si ce n’est pas dégradé, c’est un truc qui sera là dans 10 ans. Et savoir qu’un mur comme ça durera, alors que des gens vont partir, revenir, arriver…C’est comme si j’avais laissé ma marque, comme un homme préhistorique. Franchement, je suis content !

Quelle est ta plus grande source d’inspiration ?

C’est mon quotidien qui m’inspire réellement ; je fais très souvent des musicos, ou des personnages politiques… J’ai commencé le graffiti en étant assez investi politiquement, et je me suis vite rendu compte que ça servait à rien du tout ! Mais je continue de m’inspirer de tout ce qui me touche dans mon quotidien, que ce soit socialement, musicalement… Et quand je commence un mur, il y a toujours un dessin avant, donc je passe par la feuille blanche. Mais c’est largement plus pratique parce que quand j’arrive devant un mur, j’ai le modèle de ce que je vais faire ; ce n’est pas de l’improvisation.

Avec deux autres artistes, Möka et Blade, vous formez le collectif « Le Grand Cru ». Peux-tu nous en parler ?

Dans le graffiti, depuis le début, on se forme en équipe. Contrairement au classique qui travaille chacun sur leur toile, et qui expose chacun leur truc, moi j’ai commencé à peindre avec des gens ; il fallait donc composer avec ce que faisaient les autres.

Au début, j’ai commencé avec une équipe qui s’appeler les TER, une équipe basque à la base qui est devenue une équipe internationale connue et reconnue. Je suis sorti des TER pour monter mon propre truc donc « Le Grand Cru ». Je travaille avec des graffeurs de la région, Möka, Blade, après il y a des gens qui rentrent et qui sortent… Travailler en équipe c’est quelque chose d’essentiel pour moi ; il ne se passe pas une semaine sans qu’on fasse un mur tous ensemble, parce qu’on aime bien se retrouver, peindre ensemble…

J’aime beaucoup peindre tous seul, mais je préfère largement peindre en équipe.

Sur tes réseaux sociaux, nous avons vu que tu organisais différents ateliers graffiti pour les jeunes, et les moins jeunes. Pourquoi ce choix ?

Personnellement, j’ai eu la chance de passer par une école, chance que n’ont pas eue beaucoup de collègues, qui ont travaillé dans le dur, pour trouver des techniques, etc.

Dans le graffiti, j’ai toujours travaillé avec des mecs qui étaient plus âgés que moi, qui avaient plus de techniques, et qui faisaient des ateliers avec nous, sans être payé, pour nous donner ces techniques. Une petite anecdote ; à l’époque je peignais très souvent avec un mec qui s’appelle Olivier Mégaton et un jour, je fais un personnage, et je me rends compte qu’en mettant deux petits points blancs dans les yeux, tout de suite, ça fait un regard expressif, et je me souviens lui avoir dit « oh, regarde ce que je viens de trouver ! » et le mec m’a dit « ouais je sais, mais c’était à toi de trouver le truc… »

Avant c’était comme ça… fallait chercher, et trouver des techniques soi-même.

Moi, je suis enchanté de faire gagner ce temps aux petits que je sens motivé. C’est pour moi essentiel de retransmettre aux jeunes, ou au moins jeunes toutes ces techniques que j’ai apprises.

Et c’est un réel grand plaisir quand je partage quelque chose avec les gamins, et que 4-5 ans après je me rends compte que le mec est devenu gaffeur !

Un jour, je peignais une nana sur un mur à Bayonne, et un mec est passé, a vu la peinture, m’a parlé… Quinze ans après je le retrouve sur Facebook et le mec me dit « tu te souviens de moi, c’est toi qui m’as donné envie de faire des nanas ». Le fait d’avoir donné une étincelle c’est incroyable… Quand il m’a dit ça, je touchais plus le sol !

Le graffiti c’est tellement important dans ma vie qu’un truc comme ça, c’est génialissime !

À ce titre, quelle est ta vision du street art ?

Ma vision du street art elle est très simple. Tu peins dans la rue, c’est du street art ; tu colles dans la rue, c’est du street art ; tu fais de la craie dans la rue, c’est du street art ! Tous ceux qui proposent de la création graphique dans la rue font du street art. Aujourd’hui, on est dans un système où le street art est tellement important que les mecs qui étaient là depuis le début, qui se sont toujours dit graffeurs, se rendent compte qu’il y a des mecs qui depuis 2 ans sont street artiste et qui deviennent très célèbres. Et c’est le jeu !

Par exemple, See Ya peint depuis 1 an ; quand elle a fait le renard sur ce mur là, ça faisait 7 mois. Un jour, elle a pris un spray, et ça a été inné. Et moi je suis enchanté de peindre avec des gens comme ça, parce que je me rends compte que cette passion, elle peut se réveiller à n’importe quel moment et que tout le monde peut avoir un talent ! Je trouve ça génial !

Quels sont tes projets à venir ?

Je commence par un voyage en Afrique du Nord en mars, où je vais faire pas mal d’ateliers avec les gamins. Il faut se dire que là-bas, il y a beaucoup de murs, mais pas de spray parce que ça a un coût. Et les jeunes,  grâce aux réseaux sociaux, ils connaissent le graff aussi bien que moi… Donc moi je vais là bas pour essayer de leur donner ce que je peux.

Bien sûr, parce que j’ai des origines, mais aussi parce que je vois l’engouement qu’il y a pour ça, alors qu’ils ne peuvent rien faire…

Sinon, j’ai aussi quelques murs à finir ici…

Pour finir, pourquoi ce pseudo ?

C’est horrible parce que je vais me la raconter et je déteste ça ahah.

En fait quand j’étais jeune, au lycée on avait tous des blases genre « master », « le duc », « the king »… C’était le début du hip-hop, il fallait se la raconter. Et mon blase c’était « Master M » ; et quand je suis entré dans l’équipe TER, ça c’est décomposé en deux mots : MAS, j’ai mis un accent sur le A, ce qui veut dire « plus » en espagnol, et TER c’est mon équipe.

Retrouvez l’univers de Màs sur les réseaux sociaux et sur son site internet.

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Instagram : @mas.oner

Site internet : https://masgraffiti.fr/