«Griffure», «éraflure», «égratignure»: autant de termes qui renvoient aux marques que peuvent
porter les visages, mais également les murs! L’artiste Alexandre Farto alias Vhils, joue de ces parallélismes, de ces échos, où la peau de la ville semble fusionner avec la peau de ses habitants.
Dans ses œuvres pleines des vestiges de la cité, Vhils joue la carte de l’anthropomorphisme. Loin de ravaler les façades, il les gratte, au contraire, pour y faire surgir l’empreinte humaine.
A l’occasion de sa première exposition monographique en France au Centquatre-Paris, revenons sur son Œuvre ainsi que la diversité de celle-ci.
Sous la direction artistique de José-Manuel Gonçalvès et en partenariat avec la galerie Magda Danysz, le Centquatre-Paris met à l’honneur l’artiste portugais avec cette exposition «Fragments urbains» ayant débutée le 19 mai et se terminant le 29 juillet. La pertinence de ce titre apparaît au visiteur dès l’entrée de l’exposition: la grande halle se voit envahie par tous les déchets de la ville, à l’image d’un grand dépotoir artistique où les fragments urbains sont mis en scène.
Cette installation Débris, joue de l’antinomie apparente entre poésie artistique et rebuts de la société. Comme un chiffonnier baudelairien, Vhils puise la matière de son œuvre dans les rues afin d’en extraire le beau. Rouille et crasse sont ainsi repeintes de blanc et donnent au spectateur l’occasion d’arpenter ce paysage, chaotique en apparence mais qui se révèle bien surprenant en prenant de la hauteur. Le reste des salles proposent un aperçu de la diversité de son travail, encore qu’«aperçu» soit un faible mot, eut égard au caractère colossal de certaines réalisations de l’artiste! En effet Vhils n’est pas connu pour faire dans la dentelle: armé de burins, de marteaux-piqueurs et parfois même d’explosifs, il se fait connaître en 2008 lors du Cans Festival organisé par Banksy à Londres.
Sa série «Scratching the Surface Project» lui ouvre les portes de la renommée internationale et depuis plus de dix, il arpente le globe, de ville en ville, pour y graver les murs et les mémoires de ces personnages à l’attitude particulièrement touchante. A l’instar de l’artiste JR, les visages anonymes que Vhils représente sont souvent ceux des habitants du lieu où il propose ses œuvres. Ce choix du portait apparaît comme une réaction face au développement des sociétés de consommation qui tendent à l’uniformisation et l’effacement de l’individu. Alexandre Farto creuse les strates et dévoile ce que la ville cache: les femmes et les hommes qui la compose!
Néanmoins la pratique de Vhils est loin de se limiter à entailler les murs: tous les matériaux y passent (bois, liège, métal). Il joue de la vétusté des uns et de la malléabilité des autres. Cependant un fragment urbain en particulier marque l’intérêt de l’artiste :
«Les affiches dans la rue sont comme des fossiles contemporains, leur accumulation reflète le passé récent tout en incarnant la propension à jeter propre à cette culture de la consommation effrénée».
En effet le jeune Alexandre Farto naît en 1987 à Seixal, dans une banlieue de Lisbonne. Quartier particulièrement marqué par l’industrialisation, les murs qu’il côtoie alors sont couverts de fresques politiques faisant suite à la Révolution des Œillets ayant eut lieu en 1974 en opposition au régime autoritaire salazariste qui régissait le Portugal depuis les années 1930.
Très vite ces peintures se voient obstruées par les affiches publicitaires : une nouvelle forme de propagande. Le temps faisant son œuvre, Vhils voyait les affiches se déchirer, laissant voir par de minces interstices l’ancienne histoire du lieu comme autant de palimpsestes. La destruction est alors créative, ou du moins révélatrice : c’est la leçon que retiendra l’artiste.
Aussi dès 2005, Alexandre Farto commence à récupérer des affiches par centaines, s’extasiant devant les déchirures et les jeux visuels qu’elles engendrent. A ce titre, sa démarche est très semblable au travail de certains artistes du Nouveau Réalisme à l’image de Jacques Villeglé qui dès 1949 opérait déjà un travail d’«archéologue de la rue» et pratiquait ce nouveau geste artistique de la lacération. En revanche, Vhils se démarque par l’utilisation de peinture blanche dont il recouvre la surface de ses blocs de papier avant de l’inciser, pour y laisser apparaître des visages : ceux des passants à qui sont adressés ces affiches ?
Plus que des visages dans la ville, Alexandre Farto donne à voir LE visage de la ville. Par les matériaux de récupération et les lieux qu’il investit bien-sûr, mais également par son architecture même! L’œuvre Babel présentée dans l’exposition en est un exemple marquant : tour de bric et de broc où apparaît une multitude de regards et d’individus. Néanmoins sa série Diorama est une illustration plus frappante encore : taillées dans le polystyrène, ces immenses sculptures furent présentées pour la première fois par l’artiste en 2012. Sensible aux jeux d’ombres et de lumière sur les façades des immeubles, Vhils prend la casquette d’urbaniste en construisant de véritables villes miniatures où il agence les tours et les buildings sur plusieurs niveaux. Un urbanisme savamment orchestré en vérité car un système de miroirs inclinés permet d’apprécier la vue des toits et révèle au spectateur le vrai visage de la ville…
La question du temps est finalement centrale dans l’œuvre de Vhils: sans même passer par l’acide
ou le burin, le temps dévore et dégrade l’environnement urbain. La ville est un organisme qui vit et
vieillit. La vidéo permet à l’artiste d’appréhender cette matière intangible qu’est le temps, créant des
ralentis pour apprécier l’éphémère de la création comme présenté dans la série Detritos où dans de
flamboyantes explosions, la fumée se dissipe comme un voile devant les murs marqués. La poésie
du quotidien est aussi un moteur créatif pour Alexandre Farto qui capture des fragments de vie, de
scènes urbaines dans ses vidéos Crystallize qui permettent au spectateur de prendre le temps d’apprécier l’esthétisme des mégapoles. Prenez vous aussi du temps pour écouter votre cœur battre au rythme de la ville face aux œuvres de Vhils!
Article de Simon G.
Sources:
FARTO Alexandre et MOORE Miguel,Entropie, Paris, Éditions Alternatives, 2014 [264p.].
WACLAWEK Anna, Street art et graffiti, Paris, Thames & Hudson, coll. L’Univers de l’Art n°103, 2012 pp. 151-153.
http://vhils.com/ (site officiel de l’artiste)
http://www.104.fr/fiche-evenement/vhils-exposition.html (site officiel du Centquatre-Paris)
http://www.104.fr/media/presse/vhils-dp-104.pdf (dossier de presse)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vhils (page Wikipédia de l’artiste)