Un trésor d’histoire. Maria Herreros, originaire de Valence (Espagne), livre une œuvre personnelle et familiale, en lien étroit avec l’histoire d’Espagne et du domaine de La Valette. Le portrait poignant de son grand-père, qui a combattu pendant la guerre civile (1936 – 1939), inspiré de son journal intime, rédigé après le conflit.
« Histoire de ma vie en référence à ma vie dans la guerre et dans l’après la guerre. Premièrement, je me suis porté volontaire pour l’armée le 1er novembre 1935, dans le régiment d’artillerie n ° 5 de Valence. Ils nous ont demandé notre profession et j’ai dit que j’étais barbier. »
Premières lignes du journal intime de Domingo Evangelio Guaita
Raconte nous. Qui était ton grand-père ? Et quelle est son histoire ?
Mon grand-père s’appelait Domingo. Il a combattu pendant la guerre civile en Espagne (1936 – 1939), du côté Républicain.
La guerre civile a explosé à l’été 1936. Mon grand-père faisait son service militaire, et il était en permission, au milieu de ce mois de juillet 1936. Il avait demandé de changer la date de sa permission et de la prendre au mois d’août, parce qu’il voulait rentrer à son village et demander à ma grand-mère de l’épouser. Mais les gradés militaires ont évidemment refusé parce que la guerre éclatait et qu’il devait aller au front. Il n’est retourné au village que 5 ans après, à la fin de la guerre.
A la fin du conflit, il est donc rentré dans son village, où ma grand-mère l’attendait. Il a marché pendant 4 jours, avec des chaussures défoncées. Les gens sur la route lui jetaient des pommes de terre, de la nourriture. Mais personne ne voulait l’accueillir. Si on trouvait un soldat républicain, les propriétaires de la maison auraient pu être tués. Quand des gens lui donnaient de l’eau, il n’osait pas boire parce que certains mettaient y du poison, quand ils étaient partisans de Franco. Il était donc comme un chien, sur la route.
C’est l’histoire de ton grand-père, mais aussi de ta famille, et de ton pays, l’Espagne ?
Après la guerre, ma famille a été punie, poursuivie pour ses idées politiques. Mon grand-père a été pourchassé toute sa vie, comme ses frères et sœurs. Certains ont du fuir, se cacher, ils n’ont pas pu travailler librement. Il y avait cette peur, très présente à l’époque. Il fallait rester silencieux, subir et ne rien dire.
Il explique que la période de l’après-guerre était terrible. Les gens honnêtes se battaient entre eux, pour des histoires politiques. Mon grand-père a beaucoup souffert de voir les gens s’entre-tuer. Dans le même village, on voyait des cousins, des voisins s’entre-tuer.
Nous, les nouvelles générations, nous n’avons pas cette peur, mais on doit la raconter. Pour que personne n’oublie. Dans les dernières lignes de son journal, il dit au revoir à tout le monde et il dit qu’il aimerait que son histoire reste. Donc je crois qu’il aurait été content de me voir en faire quelque chose.
Tout est parti de son journal intime ?
Un jour, ma mère m’a dit « Tu sais, j’ai gardé ce journal intime de ton grand-père, qu’il a écrit après la guerre. » Je l’ai lu et j’étais bouleversée. Parce que ça ne parle pas uniquement de sa propre expérience, il y a plein d’informations. Ses rencontres, les kilomètres qu’il a parcouru, les endroits exacts où on peut trouver des corps, des soldats morts pendant la guerre.
Ce journal intime est d’ailleurs dans les archives nationales du gouvernement espagnol, parce que je leur ai offert. Ça a permis à des gens de faire le lien avec leur propre histoire.
Il était comment Domingo ?
Il était barbier et il travaillait dans les champs. C’était un taiseux, il ne parlait pas beaucoup mais il avait une présence très apaisante. Il était très respectueux. Par exemple, il ne s’est jamais remarié après la mort de ma grand-mère (ma mère avait 13 ans). Il est resté seul toute sa vie, il ne voulait pas lui manquer de respect en se mettant avec une autre femme.
Il venait d’une région où l’on chasse beaucoup, Castilla la Mancha, entre Madrid et Valence. Mais il n’aimait pas faire de mal aux animaux. Alors il allait dans les champs, avec de grands sacs remplis de pâtes de fruit, il faisait de grandes marches et il laissait la nourriture sur le chemin. Il préférait nourrir les animaux plutôt que de les chasser !
Il n’écrivait pas très bien parce qu’il n’a pas eu la chance d’étudier. Par exemple, dans son journal, il écrit guerre « cibile », avec un b. Il a combattu pendant la guerre civile et ne savait même pas comment l’écrire !
Je sais qu’il avait beaucoup de tristesse en lui mais il ne se plaignait jamais. Donc j’ai voulu le représenter de cette manière. Triste mais digne.
Il y a donc le portrait de ton grand-père, et puis il y a le contexte de l’époque autour de lui…
On voit derrière lui des paysages désertiques parce qu’il passait des heures, des jours, dans les champs, parfois sans manger. C’était très dur.
On voit aussi des espèces d’oiseaux, des créatures en train de tomber. Ça représente les gens qui sont morts autour de lui. Et puis il y a ce train noir avec la faucheuse au commande. C’est la guerre qui avance, inéluctablement.
A côté de ton œuvre, il y a le mur de Mar, artiste brésilienne, basée à Barcelone. C’est une explosion de couleurs, un phénix. On ressent quelque chose de très fort. Elle explique qu’elle a voulu représenter l’explosion de la liberté. Le moment où on brûle de liberté, le moment de la colère, parfois de la haine, devant ces régimes totalitaires, avant la renaissance dans une quête de liberté. C’est très symbolique que vous soyez côte à côte…
Oui, je suis très heureuse, parce que je trouve que nos deux œuvres se complètent. C’est une belle harmonie, entre l’histoire de mon grand-père et ce sentiment, la quête de liberté qu’elle a voulu traduire.
Quel a été ton premier ressenti en arrivant au domaine ?
J’ai su tout de suite que c’était un endroit où il fait bon vivre. Et puis on m’a raconté l’histoire du domaine. J’étais très émue parce que l’histoire de ce lieu est très liée à l’histoire de ma famille.
Que penses-tu du fait qu’on fasse du street-art …à la campagne ?
C’est très important de sortir l’art des villes. Parce que je trouve qu’aujourd’hui, l’art peut être déconnecté des gens. Parfois, les gens qui ne vivent pas dans les zones urbaines peuvent penser que l’art, et le street art en particulier, n’a rien à voir avec eux. Il peuvent penser que c’est un peu « snob », que c’est difficile à comprendre. Ça n’est pas le cas. Et c’est important d’amener l’art là où il ne va pas d’habitude.
Merci à Maria pour ce témoignage !
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