Site icon Urban Art Crew – Association faisant la promotion de l'art urbain. Agenda, expo, festival autour du graffiti et du street art.

Rencontre avec Mike 171, pionnier du graffiti new-yorkais

On était comme les Pères Fondateurs. On a exploré les quais de trains, les tunnels, les impasses… on a tracé un chemin que les autres ont suivi.


Mike 171, in « Wall Writers : Graffiti in its innocence » (2016)

A l’occasion de son séjour en France, Mike 171, légende du graffiti new-yorkais, nous a accordé une interview exclusive à la galerie Kykart à Maisons Alfort, le 20 décembre dernier. Il est également le producteur associé du célèbre documentaire « Wall Writers : Graffiti in its Innocence », qui explore l’éruption du graffiti à New York de 1967 à 1973.


Mike 171, tu es l’un des plus anciens graffeurs de New York, actif dans les années 1960 et 1970. Nous sommes heureux de t’accueillir en France, à la galerie Kykart (Maisons Alfort) pour quelques jours avant les fêtes de Noël. Quelle est la raison de ta venue en France ?

A l’occasion du 75ème anniversaire du débarquement de Normandie le 6 juin dernier, je me suis rendu à Omaha Beach, pour porter le drapeau américain en mémoire des soldats disparus. Ensuite, je suis allé à Paris où j’ai rencontré du monde. J’ai voulu revenir en France, c’est pour ça que je suis là aujourd’hui.

Le jeune artiste Kelkin, que j’avais rencontré à New York en octobre dernier et avec qui j’ai réalisé une collaboration sur des cartes de métro new-yorkais, a contacté la galerie Kykart à Maisons Alfort. Grâce à lui et à la galeriste Déborah, j’ai pu exposer mon travail et celui de mes deux amis SJK 171 et Taki 183. C’était aussi l’occasion pour moi de présenter à la France le livre Wall Writers : Graffiti in its innocence paru en 2016 ainsi que le film du même nom. Je suis venu en France car je souhaite créer des ponts entre le graffiti new-yorkais et parisien, et surtout transmettre les valeurs du graffiti aux générations futures.

Mike 171 à la galerie Kykart (Maisons Alfort)

Tu as initié le mouvement graffiti aux côtés de grands noms comme Taki 183 ou encore SJK 171. Comment et dans quel contexte le graffiti s’est-il développé à New York à cette époque ?

A l’origine, le graffiti s’exprimait seulement sur les murs. Les amoureux y inscrivaient leur prénom, les gangs écrivaient leur pseudo pour marquer leur territoire comme les Egyptian Kings ou les Five Hundred Club.

Les premiers véritables graffeurs de New York ont été Julio 204 en 1967 et Taki 183 en 1968. SJK 171 et moi-même avons débuté ensemble en décembre 1968 dans le quartier de Washington Heights, où nous avons grandi. La première fois qu’on a posé nos noms sur les murs, c’était avec du cirage pour chaussures… Aujourd’hui l’ancêtre du marqueur !

En 1968, les grandes figures des États-Unis comme Martin Luther King ou John Fitzgerald Kennedy, venaient de mourir. On était en pleine guerre du Vietnam sous le président Nixon, les policiers exerçaient des violences physiques sur la population et volaient notre argent. Tout était invraisemblable… J’avais alors 12 ans.

Nous, les gosses, on était spectateurs de tout ça. Alors on allait graffer dans les tunnels des trains pour y échapper. Il n’y avait pas de barrières sociales, pas de racisme. Il n’y avait pas Blancs ou de Noirs, il y avait juste les couleurs de peinture qu’on se partageait. On était en train de créer une nouvelle famille, une nouvelle communauté, une nouvelle culture. On a créé les premiers crews, comme les Ex-Vandals. Le graffiti était un moyen de nous exprimer. Quand j’écrivais « Mike 171 » sur les murs, je voulais dire au monde que j’existais. C’est comme ça que le graffiti est né à New York, et il continue d’évoluer depuis 50 ans à travers le monde.

Quelles étaient vos manières de faire, vos tactiques, pour écrire vos noms dans la rue ? Quel était le moment le plus propice ?

On allait à l’école du lundi au vendredi, alors le week-end on passait notre temps à graffer. SJK, Taki et moi-même étions livreurs pour un supermarché. Avec les pourboires, on achetait des bombes de peinture. En même temps que nous faisions nos livraisons, on graffait en haut des immeubles en passant par les escaliers extérieurs. Parfois, il nous arrivait de voler des bombes de peinture… on les cachait sous notre veste ! La nuit, on allait dans les dépôts où il pouvait y avoir jusqu’à 25 trains à l’arrêt. On buvait, on fumait, on peignait toute la nuit sur les murs et les trains. Et au petit matin les vapeurs de l’aérosol nous avaient transporté dans un autre monde. On avait 15 ans, c’était existant, c’était tout nouveau : personne n’avait encore jamais peint illégalement ! On était les rois du monde. Nous ne voulions pas d’une vie « métro-boulot-dodo ». On voulait montrer aux gens qui on était. Alors, on a impulsé un mouvement, tous les gamins de la ville ont commencé à graffer. Et les journaux à écrire des articles sur nous…

Wall Writers : Graffiti in its innocence, est le titre du livre et du documentaire qui racontent la naissance du graffiti à New York dans les années 1960-1970. Peux-tu nous en dire plus ?

Le livre est paru en 2016, tout comme le documentaire. De nombreuses images d’archives témoignent de la naissance du mouvement graffiti de 1967 jusqu’à 1973, l’année de la première toile vendue. Des interviews de plusieurs graffeuses et graffeurs comme Rocky 184, Henry 161, Taki 183 et bien d’autres, accompagnent les images et apportent une source d’information considérable. Le livre Wall Writers est véritablement la Bible du graffiti new-yorkais.

Après sept années de collecte d’archives et de témoignages, 350 personnes étaient présentes lors de la première projection au SVA Theatre de New York (School of Visual Art). De nombreux Américains de différents états ont fait le chemin pour y assister. A la fin de la projection, nous avons échangé tous ensemble pendant 2 heures. C’était un moment fort.

« Wall Writers : Graffiti in its innocence » (2016)

Qu’est-ce que la « United Graffiti Artists » ?

C’est la première organisation de graffeurs professionnels que l’on a créée à New York. SJK était le premier à prendre des photos du graffiti car son père avait un studio approprié. Plus de 1000 clichés de graffitis ont été réalisés, qui ont servi pour le livre Wall Writers. C’est ce qui a impulsé la création de la United Graffiti Artists. A 15 ans, on avait notre propre studio. On était les premiers à fabriquer nos toiles, à les exposer et à les vendre dans notre galerie. Notre première exposition a eu lieu en 1974.

Grâce à ce collectif, on a attiré l’attention des médias, comme le New York Magazine qui a rédigé huit pages sur le graffiti, le 26 mars 1973. J’y ai aussi accordé une interview. Personne ne pouvait arrêter ce mouvement.

Quelle est l’expérience la plus mémorable que tu as vécue en tant que graffeur ?

Sans aucun doute notre performance au ballet de Broadway, qui s’appelait le « Joffrey Ballet ». Pendant une représentation de danse, on a peint le décor du fond. On avait acquit une certaine légitimité avec la « United Graffiti Artist ». Les articles dans les journaux fleurissaient. Mais quand on a gagné notre premier dollar grâce à nos œuvres, l’innocence du graffiti a disparu. C’est pour cela que le livre se nomme Wall Writers : the graffiti in its innocence, afin de comprendre l’origine du graffiti, dénuée de toute ambition commerciale.

Ballet de Broadway – source https://www.sjk171.net/

J’ai lu que tu étais à l’origine du style « puff clouds » et « smoking guns ». Qu’est-ce que c’est ?

Ce sont des symboles que j’ai ajoutés à mon nom Mike 171. « Smoking guns » fait référence à la fumée qui s’échappe du pistolet lorsqu’on tire. « Puff clouds » fait référence au nuage qui entoure mon nom.

D’autres graffeurs ajoutaient différents symboles à côté de leur nom, comme des couronnes, des yeux… Tout le monde s’approprie un style. Par exemple, SJK 171 s’est approprié les « squiggly lines », des lignes ondulées, que Keigh Haring a repris !

Que penses-tu de l’évolution du graffiti à New York aujourd’hui ?

Aujourd’hui, il existe de nombreuses fresques dans les rues de New York. Le graffiti désigne le fait de poser son nom dans la rue et de courir pour ne pas se faire prendre. Maintenant, les artistes sont payés pour réaliser des fresques murales dans la rue, sur les immeubles, dans des appartements… On peut dire que l’art urbain est devenu commercial. Mais les nouveaux artistes n’utilisent pas tous les techniques du graffiti comme nous les utilisions.

Désormais, les pionniers du graffiti sont dans des musées, alors que le mouvement est né dans la rue… Mais c’est un honneur pour moi de représenter l’origine du graffiti aujourd’hui.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Je voudrais d’abord remercier l’artiste Kelkin ainsi que Déborah de la galerie Kykart, la première galerie en France à m’accueillir. Paris m’a ouvert ses bras et j’ai trouvé une famille.

Transmettre la culture graffiti aux générations futures est un projet que j’entreprends depuis longtemps. Je travaille aussi sur un prochain livre, qui paraîtra sans doute en 2020.


Propos recueillis et traduction par Laura Barbaray & Kelkin.