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{Street art à Séville} – Osier Luther, l’« Arte Ignorante » dans les rues sévillanes (épisode 1)

Des tableaux et des dessins encadrés jonchent les murs, éparpillés. Au fond de la petite salle, des livres anciens emplissent une grande bibliothèque, dont l’odeur du papier se mêle à celle du thé et du café. Quelques clients attablés semblent éloignés de la réalité terrestre, absorbés par leur lecture. Une sorte de bouillonnement culturel se distille dans l’air de la petite cafeteria dénommée Un Gato en Bicicleta (traduction : Un Chat en Bicyclette), un lieu de vie alternatif à Séville.

C’est ici, dans ce café à la fois espace d’exposition et librairie, tout près de la célèbre galerie Delimbo où fleurissent les œuvres de – entre autres – Felipe Pantone, Remed, Jeroen Erosie, SatOne, Nano4814, Okuda San Miguel ou encore 3TTman, que j’ai rencontré Osier Luther. Artiste urbain sévillan, Osier fait partie de la troisième génération de street-artistes de la région. Pendant deux heures, nous avons échangé autour de notre passion pour l’art urbain, entrecroisant notre regard français et espagnol.

© Osier Luther

La loi des formes et des couleurs ou l’ « Arte Ignorante »

Des tatouages sur les bras, les mains et dans le cou, le regard timide et des baskets Nike au style nineties. Osier est un artiste un peu à part dans le monde de l’art urbain en Espagne. « Le graffiti et la peinture sont ma manière d’être au monde », répond-t-il lorsqu’on l’interroge sur son rapport au street art. A l’âge de 15 ans, Osier s’arme de bombes de peinture et part à l’assaut des murs de son village Mairena del Aljarafe, situé dans la province ouest de Séville, ainsi que ceux de la capitale andalouse. « Adolescent, j’étais un garçon timide et introverti, se confie-t-il. Je dessinais de façon obsessionnelle, mais on me disait que je serai incapable de construire mon avenir en suivant ma passion ». Ces mots lancés avec violence ont résonné comme un appel à la rébellion pour Osier. Pris d’un désir incontrôlable de s’exprimer hors de chez lui, le jeune artiste assiège alors les ruelles andalouses et apprend les codes du graffiti. « Peindre dans la rue m’allait bien, poursuit-il. Je devenais petit à petit plus sûr de moi. C’était comme une mise à l’épreuve : tout le monde pouvait voir mes peintures sur les murs, alors cela m’a obligé à prendre de l’assurance ».

C’est sans doute ce libre accès à l’art qui a forgé le style graphique d’Osier : l’« Arte Ignorante ». Des couleurs criardes, des lignes désordonnées, des formes simples aux traits enfantins font penser au cubisme de Pablo Picasso, à la céramique de Joan Miró ou encore aux disques colorés de Robert Delaunay. « Je peins essentiellement des formes naïves, comme si c’était un enfant qui les avait tracées, explique-t-il. Pour moi, c’est une façon de rendre accessible les savoirs-faire de l’art urbain ».

L’arte Ignorante d’Osier à Séville – © Osier Luther

Au delà de sa volonté de rendre plus ouvert l’espace urbain, le travail d’Osier se caractérise par la recherche perpétuelle de formes et de couleurs. A la manière de Robert et Sonia Delaunay, le jeune artiste semble chercher une certaine harmonie picturale en jouant sur les contrastes simultanés des couleurs. Aux allures d’un collage, les formes s’agencent et se (dé)forment pour créer des lignes abstraites. Une nouvelle réalité s’institue ainsi dans l’espace public.

La création comme remède social

Osier n’est pas un simple artiste issu de la rue. Il y a quelques années, il a fait de l’art urbain un projet social, au sein de son association IAM (Iniciativa Artistica Mairena), créée dans son village natal. L’objectif principal de l’association était d’investir des lieux abandonnés afin de permettre aux artistes d’avoir un espace pour étudier, créer et exposer. « J’ai organisé quelques ateliers, destinés aussi à enseigner la peinture aux enfants », explique Osier. Ainsi, l’artiste a permis à son village mais aussi à la ville de Séville de se doter d’expositions publiques dans la rue.

D’une autre envergure, Osier a participé à un projet colossal de revitalisation du quartier pauvre de Las Vegas situé au sud de Séville, en 2014. « C’est un projet de l’Union Européenne que j’ai mené avec mes amis artistes 3TTman, Seleka, El Niño de las Pinturas, Repo, Joeking et Rois. Le quartier de Las Vegas est le quartier le plus marginalisé et le plus dangereux de Séville. Il s’agissait de peindre les murs en ruine, mais aussi d’initier des ateliers avec les enfants, qui sont pour la plupart déscolarisés pour cause de problèmes familiaux très graves. » Apporter la créativité pour soigner. Telle a été la mission de ces ateliers théoriques et pratiques de graffiti. Désormais, des fresques colorées apportent un souffle nouveau au quartier de Las Vegas.

Fresque de Seleka dans le quartier de Las Vegas, Séville – © sevillaciudad

Le street art « orthodoxe » de Séville

Je nomme « orthodoxe » le style de street art que l’on peut trouver à Séville.

Sur les rives du Guadalquivir, Plaza de las Armas, ou bien dans les petites ruelles du centre de Séville, l’art urbain est très présent dans la capitale andalouse. Une présence du graffiti encore très (trop ?) classique selon Osier, issu de la troisième génération d’artistes urbains. « Sur les rideaux de fer des magasins par exemple, ce n’est que du graffiti vandale », remarque-t-il. Du wildstyle en passant par le flop, le writing sous toutes ses formes règne sur Séville. « D’une manière générale, Séville est une ville qui reste très traditionnelle en matière d’art, quel qu’il soit », précise Osier.

Le Siècle d’Or, période de rayonnement artistique de la monarchie espagnole en Europe du XVIème au XVIIème siècle (El Siglo de Oro) a légué un patrimoine culturel d’une ampleur exceptionnelle. Ainsi, les maîtres gothiques et baroques de la peinture (Velázquez, Murillo, Zurbarán, Juan Martínez Montañés…) ont bâti une école sévillane reconnue, qui s’est fortement ancrée dans la culture de la ville. Le musée le plus important de Séville est sans aucun doute le musée des Beaux-Arts où sont conservées les plus prestigieuses oeuvres des grands maîtres espagnols, appartenant principalement à la période baroque. Au cœur de Séville, la Faculté des Beaux-Arts (Facultad de Bellas Artes) enseigne aux élèves les fondamentaux de la peinture, de la sculpture et du dessin.

« On peut qualifier l’art urbain de Séville d’orthodoxe, au sens où le style des lettrages reste fortement attaché à ses origines new-yorkaises des années 1970 », poursuit Osier. A Malaga, au sud de la péninsule ibérique, l’esprit de l’art urbain semble plus libre et plus ouvert. En 2015, le projet MAUS (Malaga Arte Urbano Soho) avait pour objectif de doter le quartier de Soho d’une nouvelle identité artistique, plus contemporaine. Ainsi, des artistes internationaux comme Obey, Aryz, D*FACE ou encore Okuda & Remed ont rénové les façades des immeubles pour en faire un véritable parcours urbain impliquant les habitants dans leurs activités quotidiennes.

Projet MAUS, Malaga

Tout de même, Séville reste une ville référente en matière de street-art. La galerie Delimbo, co-dirigée par Seleka et Laura Calvarro, tous deux issus du monde du graffiti, donne une impulsion très forte à l’art urbain contemporain à travers une sélection fine d’artistes et des expositions régulières.

Aujourd’hui, Osier se consacre davantage à la céramique, un savoir-faire artisanal très répandu dans la région andalouse. En avril prochain, le jeune artiste sera présent au festival des tendances urbaines Mulafest à Madrid (tatouages, musique, skate, danse…) à travers une exposition collective.


Je tiens à remercier chaleureusement Osier de m’avoir accordé du temps à Séville, pour son enthousiasme et sa gentillesse. Une rencontre humaine et artistique que je n’oublierai pas.

Instagram Osier Luther : @ninja_xpert