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Marc Alexandre Oho Bambe, le griot du slam

Poète, slameur et romancier, plus connu sous le nom de « Capitaine Alexandre », Marc Alexandre Oho Bambe est l’une des grandes voix du slam contemporain. Membre fondateur du collectif On a slamé sur la lune, l’artiste est également chroniqueur (Africulture, Médiapart,…) et intervenant en milieu scolaire. Le 17 janvier dernier, il a accepté d’animer un atelier d’écriture et de poésie-slam auprès d’une classe de 3ème pour « démocratiser la poésie » et inviter les élèves à slamer et déclamer : à oser prendre la parole.

Qui est Marc Alexandre Oho Bambe, invité de ce second volet des échos urbains ? Qui est cet homme engagé, délivrant un message généreux, exigeant, universel et vigilant ? Portrait d’un artiste solaire à l’univers éclectique, qui nous raconte sa passion pour la littérature, le slam et le street art à l’occasion d’une interview en marge de cet atelier au Collège Montpezat.

Marc Alexandre Oho Bambe – Crédits : Association Les Belles Personnes

Un dandy « po-éthique »

A quoi sert la poésie ? Pour Marc Alexandre Oho Bambe « à rien et à tout » et s’en suit un flow qui lui vient naturellement et une verve difficile à interrompre. Ce « dandy de grand chemin », comme il aime se décrire, interpelle son public dans sa quête humaniste.

Initié aux mots par sa mère, professeur de français, il grandit entouré de livres et devient à son tour écrivain (Le chant des possibles, Diên Biên Phù…). Ainsi, le slameur suit fidèlement les pas de ses « maîtres d’espérances » tels que René Char et Aimé Césaire.

Marc Alexandre Oho Bambe consigne, dans ses recueils de poésie, « des choses vues, parfois touchantes, toujours révélatrices d’une société sans cesse sur le point de sombrer dans la brutalité ». Les mots, le poète les administre d’une écriture fluide et sensorielle.  Il confie qu’ « être un artiste po-éthique : c’est chanter la beauté qui écoute aux portes de la justice.  C’est essayé d’écrire, de vivre en phases et en phrases avec cette idée qu’esthétique peut rimer avec éthique. Dans une quête continuelle du vrai et du  sincère., je chante, slame et déclame cette vie qui réclame nos parts belles d’humanité ». Sa poésie chante les possibles, l’amour, la révolte, l’espoir et offre un dialogue entre les cultures.

Capitaine Alexandre, un « Djeli » des temps modernes

D’où lui vient son nom de scène ? « Capitaine Alexandre » est chargé de sens pour l’artiste. Il rend hommage au pseudonyme du poète résistant René Char ; hommage aussi à son père dont Alexandre était le prénom et enfin référence aux derniers vers du poème Invictus si cher à Mandela : « Je suis le capitaine de mon âme ». Inspiré un temps par le rap, il se tourne à 17 ans vers le slam, cette « indiscipline artistique où tout était à inventer ». 

Originaire du Cameroun, il porte en lui l’héritage de la transmission par la parole et reste fidèle à Douala, sa ville de naissance où il a poussé son premier cri de poésie. Là bas, on lui prête aisément le nom de « djeli », griot qui porte sa parole de manière vibrante et vivante.  « Quand je vais au Cameroun dire mes textes, personne ne me dit que je suis slameur. On ne m’inscrit pas dans ce mouvement là, qui a toujours été. On vient me dire  » tu es un djéli ? ». Personne, chez les anciens, ne m’appelle slameur. J’arrive avec ma parole pour l’offrir en partage à des gens assis en cercle autour de moi ». 

Nourris de cette tradition orale, ses textes se lisent comme on écoute un récit dont la musicalité interpelle. Son univers mêle autant la poésie, la musique, le chant que la danse.

« Le slam, cette indiscipline artistique où tout était à inventer »

Marc Alexandre Oho Bambe

Le « slam, un art urbain ? »

A cette question, le poète est formel et nous répond un « non » catégorique. Pour lui, l’art urbain signifie exclure d’emblée ceux qui pratiquent le slam à la campagne. Pour le poète, le slam n’est pas urbain mais intemporel. Il a toujours existé. Il insiste sur ce point : « Je fais remonter le slam à tellement loin. Dans toutes les civilisations, de tout temps, les hommes et les femmes se sont retrouvés pour partager la parole vivante et vibrante. Le slam, avec toute sa contemporalité, a toujours existé. Ce qui se passe dans une soirée slam a toujours existé. On se rassemble pour parler, pour partager la parole pas seulement pragmatique mais pour partager une parole de beauté. On partage  une parole esthétique, philosophique, qui fait sens et qui donne sens à nos vies.  C’est un mouvement artistique, une indiscipline artistique qui ne fait que continuer ce qui a été. Aujourd’hui on appelle slam, demain on l’appellera différemment peut être. Ce qui compte finalement c’est le fond. C’est des mots qui disent l’humain, la beauté, la révolte, nos soifs de justice, nos quêtes d’Azur, nos ressemblances derrière nos différences  ».

Qu’en est-il de l’évolution du genre ? Il avoue ne pas avoir vraiment réfléchi à la question. L’essentiel réside dans le fait que le slam soit avant tout de la poésie : «  Le slam comme le rap ne visent qu’à garder la poésie à la portée de tous ».

Son slam préféré ? « Celui que je n’ai pas encore écrit ! Je garde un attachement particulier au tout premier texte que j’ai clamé devant mon public : J’ai fait un rêve… et ce texte m’accompagnera jusqu’à mon dernier souffle ».

« Le slam n’est pas urbain mais intemporel ».

Marc Alexandre Oho Bambe
Capitaine Alexandre – Crédits: Association Les Belles Personnes

Le street art, « un art à part entière et entièrement à part »

Capitaine Alexandre découvre le street art à travers les œuvres d’Ernest Pignon-Ernest : « Ces fresques disent quelque chose des lieux dans lesquels on se promène que se soit en Afrique du Sud ou ailleurs dans le monde.  C’est l’idée d’avoir sur un mur un message ou un miroir de soi. Cette émotion rappelle qu’on est juste les mêmes, qu’on pleure et sourit dans la même langue. C’est ce que nous dit le street art », déclare l’artiste. Il ajoute : « le street art est un art à part entière et entièrement à part ».


Cet art visuel convoque une poésie universelle. Pour le poète, « je peux être Camerounais, me promener dans le 13ème arrondissement avec une amie libanaise et un ami japonais. On va s’arrêter devant une fresque et il n’y a pas de mots. Il y a juste ce langage universel : les images, un visuel, une émotion. On va sourire ou avoir un choc. Même s’il n’y a pas de paroles, même s’il n’y pas de mots, on va avoir accès à la poésie. Dans le street art, comme tout art visuel, il y a  une poésie qui parle à tous et à toutes au-delà de la langue. C’est l’idée même de parler avec des images et de s’adresser à la terre entière ».

Le passant accède à la poésie de manière plus directe, là où parfois la frontière de la langue peut être une barrière. « Même si les frontières sont faites pour être outrepassées et piétinées sans arrêt », précise t-il.

Pier Paolo Pasoloni Pietà par Ernest Pignon Ernest, Rome, 2015 – Crédits : Ithmus (Flickr)

Professeur d’espérance pour « nous garder vivants ! »

Capitaine Alexandre rappelle l’importance de la transmission en évoquant sa mère. C’est en hommage à cette « mère-veilleuse » et à l’enfant qu’il fut, qu’il accepte volontiers aujourd’hui d’être ce « professeur d’espérance » auprès des élèves. A travers un atelier d’écriture et d’expression poésie-slam, il valorise la parole des élèves et invite chacun à prendre place au cœur du collectif. «  J’enseigne à ma façon en passant la littérature à des élèves et en leur disant : ces textes qui ont été écrits au 17ème siècle, lisez les ! Vous allez réaliser qu’ils parlent de vous, aujourd’hui encore. Il y a quelque chose de magnifique, pouvoir transmettre cela à des gamins et partager avec eux ces mots de Frank Etienne : « Que peut la littérature face à un innocent qu’on assassine ? Que peuvent toutes les bibliothèques du monde face à un enfant qui a faim ? Rien. Et pourtant, une seule phrase, dans un seul livre, peut sauver toute l’humanité ». Je peux dire ça à des élèves sans être professeur au sens classique du terme ou en tant que « professeur d’espérance ». Je trouve que c’est une tâche noble qui me permet de rendre hommage  à une mère –veilleuse, femme de lettres qui m’a transmis l’amour des mots et le goût des autres ».

Que ce soit devant une classe de 3ème médusée ou sur scène, Capitaine Alexandre porte physiquement les mots qu’il clame. Le slameur se veut volontiers didactique, humaniste et persuadé que tout changement part de soi-même  et faire en sorte que les différences arrivent à tenir ensemble. A travers son art, cet orateur au verbe précis adresse un message avant tout fraternel : « Des mots qui disent que nous sommes les mêmes et que nous continuerons, quoi que disent les racistes et les xénophobes, à sourire et pleurer dans la même langue, celle du cœur ». Il offre un gage de fraternité à ceux qui l’écoutent et cite volontiers Adonis, élève de 3ème : « car l’autre, c’est le changement ».

Liste de ses œuvres :

ADN (Afriques Diasporas Négritude), en  2009, Editions Plume de l’Ange
Le Chant des possibles, en 2014,Editions La Cheminante (récompensé par le Prix Fetkann de poésie et le prix Paul Verlaine de Poésie de l’Académie Française en 2015)
Résidents de la République, en 2016, Editions La Cheminante
De terre, de mer, d’amour et de feu, en 2017, Editions Mémoire d’Encrier (récompensé par le Prix de la ville de Valognes en 2018)
Diên Biên Phù, en 2018, Sabine Wespieser éditeur (récompensé par le prix Louis Guilloux 2018)
Ci-gît mon cœur, en 2018, Editions La Cheminante
Fragments, en avril 2019, Editions Bernard Chauveau

Pour découvrir l’artiste : https://capitainealexandre.com/  (site officiel)