Artistes confinés, un quotidien à réinventer

Galeries fermées, expositions annulées, manque de matériel, appartements transformés en atelier… Depuis le début du confinement, les artistes urbains et contemporains ont vu leurs conditions de travail se modifier, voire se réduire. Comment gagne-t-on sa vie lorsque l’on est artiste et confiné ? La créativité est-elle mise à mal pendant cette crise ? Le public désire-t-il encore acheter de l’art ?

L’accès à l’espace public, désormais proscrit pour des raisons sanitaires, remet aussi en question la pratique du graffiti, illégale à l’ordinaire. Trouve-t-on toujours du sens à peindre un mur abandonné ou des rames de métro, selon les codes traditionnels du graffiti ?

Urban Art Paris a voulu connaître le quotidien d’artistes pendant cette période particulière, et, si le confinement avait un impact sur leur mode de création. Plusieurs artistes urbains et contemporains de diverses générations et à l’univers plastique différent, ont témoigné : BastBishopparigoEncoreunestpHomekKelkinLe DiamantaireLemonNdek et Ster. Merci à eux pour leur réaction.


UN PAYS À L’ARRÊT… MAIS PAS LA CRÉATION

« Je n’ai pas anticipé le confinement pour m’approvisionner en matériel », constate le graffeur Homek. Pour beaucoup d’artistes, leur atelier n’est pas leur lieu de confinement. Les toiles ou encore la peinture se font rares, alors il faut économiser les supports jusqu’à ce que les livraisons reprennent. Ster, jeune artiste indépendant, a quant à lui « improvisé un mini atelier dans [son] couloir. » On imagine que, dans ces conditions, la production artistique devient difficile.

Peut-on y voir une opportunité de se réinventer Bouteillescartonpapiertoile de jutesac de café, et même une boite aux lettres La Poste… pour continuer à créer, les objets du quotidien se transforment en support de création. « Je prends tout ce qui me passe sous la main », confie Bishopparigo, artiste et illustrateur. La designer Lemon, elle, profite de ce temps pour crayonner toutes ses nouvelles idées. Ster travaille le support bois en customisant des planches de skate et de surf : « cela me permet de développer ma technique et d’approfondir mon univers graphique lié au voyage », précise-t-il. De son côté, l’artiste parisien Le Diamantaire a « enfin le temps de chercher des nouvelles méthodes, des nouveaux outils » et pense à une exposition solo pour l’année prochaine.

Le numérique fait aussi partie des supports que les artistes s’approprient en cette période de confinement. L’artiste Encoreunestp, connu pour ses collages de miroirs à selfie (insta’mirrors) dans les rues parisiennes, interroge l’addiction aux réseaux sociaux et aux smartphones. Une occasion pour lui de se tourner vers la création numérique. « J’essaie de me réinventer autour de mon ordinateur en m’inspirant du contexte actuel », confie-t-il. Photoshop ou Indesign deviennent des outils qu’on réapprend à utiliser. « J’ai créé une série de lithographies : des faux médicaments qui permettront de sortir du confinement en soignant nos addictions aux réseaux sociaux », explique-t-il.

Pour Kelkin, c’est l’occasion de griffonner quelques projets sur l’iPad grâce à l’application d’illustration ProCreate« Mes idées ne se confinent pas, sourit-il. Je réalise en ce moment une bande-dessinée. L’iPad est un support numérique très agréable pour dessiner. »

Pour tous les artistes interrogés, cette période de confinement est une opportunité pour se recentrer, prendre le temps de développer sa créativité et avancer vers de nouveaux projets.

LA RUE : DE L’ILLÉGALITÉ À LA LÉGALITÉ ?

Alors que l’accès à l’espace public est désormais limité pour des raisons sanitaires, qu’en est-il pour la pratique du graffiti ? Le confinement modifie-t-il les logiques et les modes de faire de ce mouvement illégal ? La plupart des artistes urbains ont fortement réduit leur activité dans la rue. Sur le chemin des courses, LemonLe Diamantaire ou encore Ster continuent à coller quelques stickers ou bien à dessiner rapidement au coin d’une rue.

Ndek, pionnier du graffiti à Cergy-Pontoise et membre des GAP, explique que la période du confinement a changé ses habitudes. « Avec le confinement, il n’y a plus de vie nocturne comme avant, raconte-t-il. Cela m’oblige à voir ce qui se passe en journée pas trop loin, à trouver des nouveaux spots libres où il n’y a personne. Je prends plus mon temps pour peindre, et je reste seul. Ce qui me manque, c’est l’interaction avec les gens, l’échange. » L’activité de peindre dans la rue ferait-elle partie des déplacements dérogatoires dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour de son domicile ? Deviendrait-elle « légale » pendant le confinement ? « C’est vrai que la police a peur d’attraper le virus, poursuit NdekAu début du confinement, je me suis fait contrôler avec d’autres graffeurs après une peinture sur un train. Les agents sont restés dans la voiture et ont juste vérifié la validité de nos attestations. Habituellement, ils auraient poussé leurs investigations, constatant un comportement suspect… » La fermeture de l’espace public à tous semble inévitablement réinterroger les fondements du graffiti.

UNE PÉRIODE DIFFICILE POUR VIVRE DE SON ART ?

Galeries fermées, expositions reportées, festivals annulés… L’activité professionnelle des artistes est nettement réduite, ce qui affecte considérablement leurs ressources financières. « J’avais quinze pièces à livrer pour une exposition parisienne initialement prévue au mois de mars. Aussi, la préparation de l’exposition à Street Art City est en suspens », évoque Bast, artiste jurassien. Le recours à des galeries en ligne peut être une solution alternative, comme ArtsperArtprice ou encore Kazoart… Mais la période de crise que l’on traverse est-elle réellement favorable au marché de l’art ? Des artistes comme Lemon préfèrent se concentrer sur la création et le lien avec le public. « On attend la fin du confinement pour finaliser les ventes et les livraisons, précise-t-elle. Et puis, il reste Instagram pour les commandes. »

Pour les autoentrepreneurs, il est possible de demander une aide financière grâce au fonds de solidarité créé par l’État. Pour cela, il suffit de déclarer une perte du chiffre d’affaire de plus de 50% par rapport à l’année précédente. La Maison des Artistes explique la démarche à suivre.

L’art est aussi un moyen de faire preuve de solidarité en cette période de crise sanitaire. De nombreux artistes ont mené des projets solidaires pour soutenir le personnel soignant, à l’image de Kelkin qui offrira une toile à l’Hôpital de Pontoise dans le cadre de la création d’un fonds de solidarité. Le projet Saato, initié par le pochoiriste Raf Urban, réunit plus d’une centaine d’artistes français, dont Homek et Bishopparigo, dans le but de créer des oeuvres petit format au profit du fonds d’urgence de l’APHP.


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Article à retrouver sur Les Echos Décorés.