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Rencontre avec Tilt – “Pour moi, le graffiti est une action plus qu’un art” #3

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ARTICLE 3 : Le graffiti et l’art urbain à Toulouse

L’expérience de Tilt décrite dans l​es deux premiers articles, (#1, #2) nous a permis de mieux comprendre ses différentes pratiques, tout comme les différents enjeux qui illustrent le mouvement graffiti. Chaque artiste a une histoire propre à raconter, à exprimer. Il entretient une relation particulière avec la ville qu’il habite, arpente et peint.

D’un côté, Toulouse expose depuis plusieurs décennies une scène graffiti illégale. De l’autre, le maire Jean-Luc Moudenc exprime une volonté d’en faire une véritable “​galerie à ciel ouvert”, institutionnelle. Mais alors, quelles est la place du graffiti et de l’art urbain dans la ville rose ? Comment des projets comme Rose Béton, peuvent influencer localement et durablement l’évolution de la culture graffiti ? 

Plus localement, pour toi à Toulouse, quelle est la place de l’art urbain?

J’en ai tellement chié avec Rose Béton (rires), que je ne sais pas. En terme de grosses fresques en ville, on est presque arrivé au bout. Maintenant cela va se passer par des discussions et savoir ce que les gens en pensent.

Toulouse est une ville qui grossit énormément. Il faut justement trouver la place de l’art urbain et elle est délicate.                   

Personnellement, j’essaye de trouver un équilibre, mais des fois, on a l’impression que c’est une bataille perdue d’avance. C’est comme l’effacement.

L’année dernière, j’ai fait à peu près 350 flops et il doit en rester 10. Cette année, j’aimerais en faire 500 (plus d’un par jour). J’en ai actuellement fait 35 et on est le 17 janvier je suis un peu en avance (rires).

Par exemple, lorsqu’on a réalisé le mur de la préfecture avec ​Hense ​(artiste américain)​, j’ai dû me battre. La bataille se situait autour de la conservation du mur situé juste à côté. Mur qui contient que du flop, du vandale. Sinon je pense qu’on aurait assisté à une guerre légitime.

“Pour moi le graffiti est une action plus qu’un art”

Si on décide de dénigrer cette action, c’est normal qu’il y ait des représailles à cela. En tant que graffeur, si on m’efface à coup de grand rouleau beige, et bien, c’est le jeu. Si on m’efface avec une œuvre, c’est que l’on considère qu’elle vaut mieux que la mienne.

Est-ce qu’un mur ravagé de ​flops hardcores, avec un énorme coup d’extincteur est moins beau qu’une petite fille qui donne à manger à un oiseau en hyperréalisme ? Pour moi non, mais c’est subjectif.                

Et à l’échelle planétaire, tu en penses quoi ?

Il y a des pays dans lesquels la culture du graffiti est arrivée en même temps que celle du street art, ce n’est donc pas pareil. Pour des pays où c’est arrivé très tard, comme la Chine, ils n’ont pas de rapport au vandale. On va donc rester sur un concept de décoration, d’art mural, de peinture, de l’esthétisme.

Mexico est pour moi la ville la plus défoncée niveau graffiti. J’y ai fait mes meilleures nuits en terme de vandale. Là-bas le street art est arrivé après et les graffeurs ne l’ont pas bien accueilli, n’hésitant pas à tout repasser. On peut les comprendre, la culture du graffiti s’est enracinée d’une forme de dureté, liée à la vie locale et c’est normal qu’il y ait ce clash. Cette dualité est d’ailleurs au cœur de la pratique et il ne faut pas qu’elle disparaisse à mon sens.

Salvador Dali a dit dans les années 80 :                   

“Le graffiti doit rester un mot merdeux, une insulte aux constipés de l’esprit.”

C’était le début de la pratique et il avait déjà compris que les graffitis n’avaient pas vocation à devenir beaux.               

Et toi est-ce que tu as des projets post Rose Béton ?                   

C’est justement faire 500 ​flops cette année et beaucoup d’autres graffitis, me gaver un peu plus de ça. 

J’aimerais aussi écrire un livre, sur la répétition et l’effacement avec David Pontille (sociologue et chercheur au CNRS) et Evelyne Toussaint (professeur d’histoire de l’art à Toulouse). Il sera en deux parties : le ​flop​, et l’effacement de ce graffiti illégal. Nous allons également travailler sur un autre livre plus illustré qui reprend mon travail. L’objectif est aussi de faire le moins d’exposition possible et de prendre plus de temps pour voyager. J’ai besoin de changer de murs (rires).   

Il y a un mur en particulier à Toulouse, je suis passé dessus 17 fois. Les personnes en chargent de l’effacement doivent se dire : “ Mais il est fou ce mec ! “(rires).

C’est comme un skateur professionnel, il ne peut pas aimer faire que de la compétition, il va forcément aimer aller skater dans un autre cadre. Je ressens la même chose, j’ai besoin de sortir de ce monde de l’exposition où l’on se retrouve jugé à 90 % par des gens qui ne font pas partie de la culture.                   

À la base, le graffiti était une activité faite pour déplaire, aujourd’hui beaucoup de personnes aiment le graffiti, et selon moi c’est un peu une tragédie. On a perdu de la valeur.       

Rose Béton est un projet que je n’ai pas fait pour moi. Déjà en tant qu’artiste, je perds du temps, puisque je ne peins pas. Puis c’est un projet qui est pour la ville, malheureusement cela a cristallisé pas mal de haine de plusieurs côtés.

D’un côté les “haters” qui voient un peu la scène graffiti toulousaine comme appartenant uniquement aux graffeurs toulousains. C’est dommage de voir la chose de manière restreinte, je préfère prendre du recul face à tout cela.           

Heureusement, on a eu de très bons retours sur l’événement, autant au niveau national, qu’international. Notamment de la part d’Hugo Vitrani, le curateur du Palais de Tokyo, qui a dit que pour lui il s’agissait du meilleur événement post-graffiti / art urbain qu’il est vu depuis 5 ans. Mais localement, il n’ a pas eu le même accueil.               

De l’autre côté, la mairie essaye de nous mettre des bâtons dans les roues alors que c’est à la base leur projet.   

Oui, on imagine les difficultés que tu as pu rencontrer ! Quels étaient vos objectifs à la base du projet Rose Béton ? Pourquoi cette appellation ? Et pourquoi la thématique de la “galerie à ciel ouvert” ?   

Alors la “galerie à ciel ouvert” ce n’est pas de moi, et je ne suis pas pour (rires). Pour “Rose Béton”, c’est tout simplement le côté ville rose associé au béton, la base du graffiti.

Ensuite l’idée était de faire quelque chose de différent de ce qui se fait aujourd’hui, tout en montrant les fondamentaux du graffiti. L’exposition est constituée de trois pôles : ​les Abattoirs, l’extérieur urbain et l’artistique vandale.               

Pour l’édition 2016, je voulais représenter les fondamentaux du graffiti. C’était uniquement des artistes issus de la culture graffiti à part ​Miss Van, qui était, on va dire, la Toulousaine. Pour la première édition, l’objectif était de montrer dans les Abattoirs, la dématérialisation du graffiti lorsqu’il devient abstrait. À l’inverse de l’extérieur, où nous avons plutôt cherché des œuvres figuratives.               

Le postulat 2019 était de se demander ce qui était poreux, entre le graffiti arrivé à maturité et l’art contemporain. Qu’est-ce qui fait qu’on parle davantage d’art urbain, d’art dans l’espace urbain et d’une portée politique ? C’est pourquoi les œuvres dans les Abattoirs ont une porté davantage politique et avec différentes manières de l’illustrer.           

Par exemple, ​Todd James va représenter ça de manière enfantine avec des femmes et des gros seins. Tandis que ​Cleon Peterson​ nous révèle une fresque quasi-grecque.

À l’extérieur, j’ai voulu aller vers des œuvres plus radicales (à part ​Mademoiselle Kat​) et abstraites. 

Nous avons du coup deux éditions qui s’inversent. Elles se composent toutes deux d’artistes de renom afin de mettre un coup de projecteur sur la ville de Toulouse.           

L’idée ensuite, était de mettre en avant cette culture avec les meilleurs outils, c’est-à-dire le musée d’art contemporain. En France, les musées d’art contemporain qui montrent du graffiti sont très rares et nouveaux. Autant il y a une espèce de ​fame commerciale, autour du street art, autant le milieu de l’art est encore fermé au graffiti. Et il n’a pas tort quand on voit la quantité de merdes (rires).                   

Avec la directrice du musée des Abattoirs cela n’a pas été facile du tout mais ça a été un challenge. Contraint par la mairie, le musée a ouvert ses portes, mais on a dû se battre autant que s’ils les avaient fermé.                   

“C’était cool de pouvoir se dire que : c’est un combat mais on va rentrer au musée des Abattoirs”

Cette bataille pour la reconnaissance du graffiti était donc en plein cœur du projet Rose Béton ?       

C’est ça, et c’est exactement ça qui était valorisant et appréciable. Je n’aurais pas apprécié si toutes ces personnes étaient venues avec les portes grandes ouvertes. C’était un peu comme une lutte, mais ça prend beaucoup d’énergie.               

L’idée de base était vraiment de construire cet événement de la meilleure des manières.

Il y a également eu un combat pour payer les artistes décemment. Il y en a qui sont venus avec une équipe de 4 personnes pour faire une fresque à 360° dans le musée et lui donner 3 000 € c’est déjà le prostituer. 

Même avec le budget délivré par la mairie (qui est minime en comparaison à d’autres événements institutionnels de la même envergure) divisé par le nombre d’artistes et de fresques, on ne peut pas décemment payer les artistes. Au moins ils ne sont pas venus gratuitement, ça c’était hors de question mais ça a été un vrai combat.

Malgré ces inconvénients, est-ce que tu as vu cette collaboration avec le musée des Abattoirs comme un gage de reconnaissance de ton travail ?

Complètement, en faisant abstraction de certaines personnes négatives. Il n’y avait que de bons retours, de bonnes rencontres. 

Je suis content de savoir qu’à l’international on sait que Cleon Peterson​, ​Tania Mouraud,​ ​Futura​, ​Delta​, ​Todd ​James sont entrés au musée. Ça fait partie de la reconnaissance de la pratique comme art contemporain et il était temps ! 

C’est une culture qui a 50 ans et c’est quand même fou d’avoir attendu toutes ces années pour pouvoir rentrer au pied-de-biche dans les musées (rires). 

Là, on arrive à une nouvelle vision de l’art urbain qui peut sûrement ouvrir de nouvelles portes institutionnelles. Pour ceux qui veulent y entrer et pour les autres, de continuer à pratiquer de manière radicale.

Est-ce qu’initialement, il y avait un enjeu social au projet Rose Béton ?   

De nature le graffiti à un rôle socio-culturel puisqu’il occupe des territoires. Mais selon moi, l’enjeu social est de mettre un bon coup de projecteur sur une culture plus large. 

Sinon il n’y a pas de vrai discours social, parce qu’il est trop inhérent au graffiti, si on le prend dans son spectre large. Ce spectre a justement été représenté par les artistes, ainsi que les thématiques sociales.               

Par exemple, le travail de ​Cleon Peterson ​aborde des questions de minorités, de violences aux USA. Dans l’œuvre de chaque artiste, il y avait du social au sens d’humain, de politique.   

Pour conclure, parce qu’on doit y aller (rires). On peut dire que l’art urbain regroupe énormément de pratiques d’expression. Par de multiples actions, Rose Béton les met en lumière. Est-ce qu’il s’agit aussi de montrer la culture sous un nouvel angle ?   

Oui. C’est bien aussi les réponses courtes (rires). Je parle beaucoup ! 

Disons que quand un événement n’est pas dicté par quelque chose de commercial, il ne peut être dicté que par une volonté artistique, presque idéologique. 

Si ton idéologie c’est de mettre en avant la pratique, les choix vont être honnêtes et pointus dans la représentation. 

J’ai aussi essayé que Rose Béton colle à une époque, avec des choses internationalement revendicables. Et c’est difficile de représenter tout ça, cela peut être casse-gueule. 

Étant artiste, ce n’est pas facile d’être pertinent dans tous les domaines, j’essaye de l’être un maximum !

Merci beaucoup Tilt !

Échange mené et retranscrit par Jane Vinot et Laura Ribes