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Passi, parcours d’un pionnier

Samedi 7 novembre 2020 se déroulera la 5ème édition des Hip Hop Symphoniques, à l’Auditorium de Radio France. Malgré le reconfinement, nous pourrons profiter en live via Youtube ou le site Mouv’ de la prestation de grands artistes de la scène Hip Hop qui interprèteront leurs titres réadaptés par l’ensemble philharmonique de Radio France. Parmi les invités : Lous and The Yakuza, Maes, Meryl, Soulking et Passi. Le nom de ce dernier ressort de cette liste car, à la différence des autres artistes cités, il fut parmi les premiers avec son groupe Ministère Amer à porter fièrement l’étendard du rap français. Que ce soit au sein du collectif « secteur ä » ou même avec sa maison de production « Issap productions », Passi a construit une discographie éclectique et riche en classique. Retour sur sa carrière et sa vision du rap français actuel.


Samedi tu seras présent pour la 5eme édition des Hip Hop Symphoniques. Selon moi, tu es à la fois pionnier et précurseur sur beaucoup d’aspect du hip hop. Dès le début de ta carrière avec ton groupe Ministère Amer, vous avez été les premiers à avoir un discours plus brut, plus concret sur votre quotidien. Qu’est-ce qui vous a motivé à faire cela sachant que ce n’était pas quelque chose de très répandu dans le rap français, à cette époque ?

Pour moi le rap a toujours été une forme de journalisme de rue. A l’époque le rap racontait un petit plus ce qui se passait dans les quartiers. Avec des groupes de Marseille tu savais ce qui se passait à Marseille, avec des groupes de Lyon tu savais ce qui se passait à Lyon, etc… C’était une sorte de journalisme de rue. Il y en avait qui choisissaient de faire du rap pour la culture, pour s’éclater, pour danser, etc… nous on trouvait qu’il y avait assez d’histoires à raconter quand tu ouvrais la fenêtre et que tu voyais ce qui se passait dans les quartiers. Déjà à cette époque-là, il y avait assez d’histoires à raconter pour des tonnes et des tonnes de chansons.

C’est vrai qu’on a voulu avoir un côté brut de décoffrage, raconter ce qui se passer dans les quartiers d’un côté et tirer la sonnette d’alarme d’une certaine manière aussi.

C’est vrai qu’il y avait aussi un côté très revendicatif dans votre musique. Dans vos inspirations il y avait Public Enemy…

Et NWA !

Oui NWA aussi. Peut-être plus pour le côté brut d’ailleurs.

C’était à la fois pour le côté brut, le franc parlé, et la profondeur. Parce que tu vois dans NWA ils attaquent quand même le système américain, et le rap à la base c’est quand même un message, une revendication, et aussi tu crées sur de la réalité. Tu prenais un sample, tu écrivais ton histoire dessus et rappais sur le sample, c’était ça à l’origine. Mais il est vrai que l’on était provoquant, on a eu d’ailleurs quelques ennuis judiciaires à cause de ça. Comme on disait, on était les premiers à avoir une promo gratuite du ministère de l’Intérieur (rires).

D’ailleurs, dans le 2ème album de Ministère Amer, il y a le morceau « cours plus vite que les balles ». Est-ce que c’est une référence à « 100 miles & runnin’ » de NWA ?

Ouais c’est possible. Tu me sors des morceaux qu’on écoutait matin, midi et soir à l’époque, on se tuait à ça. Ça fait longtemps que je ne l’ai pas écouté d’ailleurs je vais me le remettre après. Mais on écoutait aussi des sons de New York. Tu prends LL Cool J, c’est le premier gars qui a fait des morceaux love, notamment le morceau « I need love » (extrait de l’album « Bigger & Deffer » sorti en 1987, ndlr). Nous avons fait quelques morceaux love caillera avec le Ministère (rires). Il y avait aussi Public Enemy qui était plus dans le militantisme, la cause Black. Ces 3 groupes font partis de ce qu’on écoutait le plus, et au-delà de ça ce sont 3 références de la musique.

Ministère Amer – © Alain Garnier
Maintenant, quand on regarde dans la musique rap qui se fait aujourd’hui, c’est devenu courant ce propos plus dur, plus caillera. De ton point de vue, comment expliques-tu cela ?

Tout le monde se rend compte que dans ces galères-là il y a quelque chose à raconter, et cette histoire de rose qui pousse dans le goudron et de plume qui pousse dans le goudron, ça existe. Donc ouais, malgré les galères, tu prends ton stylo, tu écris, ou tu prends ton micro, tu crées. C’est un exutoire pour beaucoup de gens et ça fonctionne, car beaucoup de jeunes ont besoin de témoignages, d’entendre ce qu’ils vivent.

Il y a aussi ça dans le rap toute une génération qui veut crier, qui veut rêver, qui veut faire un casse, qui veut briller. Ça va avec les réseaux sociaux. Donc c’est pour ça que le rap d’aujourd’hui est comme ça.

Mais c’est vrai que c’est bien qu’il y est plusieurs styles différents. Personnellement j’aime bien quand il y a des rappeurs sauvages, des rappeurs poétiques, qu’il y ait de la place pour plusieurs styles. Il faut que les gens s’expriment de manières différentes.

J’avais entendu dire que tu avais fait aussi un peu de graff avant de te lancer dans le rap. C’était quoi ton blaze ?

Alors j’en ai fait très peu. J’avais un blaze à l’ancienne, à l’époque on se prenait tous pour des ricains alors on se donnait des noms ricains. Perso c’était « STYLER » mais je suis vite revenu sur mon blaze. On avait aussi un clan, « TAB » pour « The Athletic Breaker », mais c’était entre le posse Hip Hop et la bande de quartier (rires).

Tu étais plus branché sur la danse avant le rap ?

Oui. Dans notre génération on avait le gant blanc, on regardait « H.I.P. H.O.P. » (émission animée par Sidney sur TF1 en 1984, NDLR), on essayait de faire du smurf, de se casser le dos en tournant dessus, de tourner sur la tête, et après on a pris le micro.

Vous faites partie de cette génération qui a testé toutes les disciplines du Hip Hop.

Ouais, c’était la base. Et c’était par passion. Les gens nous disaient d’arrêter de rapper, qu’on ne vendrait jamais de disque. J’avais 15 piges, je marchais dans la rue avec mon casque et je rappais, je n’entendais même pas les gens qui me parlaient (rires), je ne voyais pas les gens autour de moi, j’étais matrixé. On nous ouvrait un micro, on venait avec nos sacs à dos, on nous sortait un son et on sortait un rap. C’était à moitié écrit, à moitié improvisé.

C’est vrai que c’est quelque chose qui se voit moins maintenant.

Si, je pense même que tous ceux qui sont actifs ont plein de textes dans leur portable, il y a des dalleux qui écrivent comme des fous. J’entends des flows, des freestyles de gens qui sont très très forts. Après c’est une autre transformation.

Oui, maintenant on a plus de modèles pour apprendre à écrire, ou rapper de telle ou telle façon.

Oui, et aussi tu peux plus facilement exister. On m’aurait donné tous les outils d’aujourd’hui quand j’avais 15 piges, j’aurais utilisé internet comme pas possible. C’est une chance pour un jeune d’aujourd’hui d’avoir cet outil, c’est maintenant à eu de s’en servir pour créer quelque chose d’encore plus fort.

Il y a un autre point que je voulais aborder avec toi. Tu as créé avec ton groupe le collectif « Secteur ä », qui deviendra une société d’édition, et dans la 2eme moitié des années 90 vous faites une réelle percée dans l’industrie musicale. Est-ce grâce à votre indépendance ?

C’est cette indépendance et aussi le nombre de talents qu’il y avait autour de nous. Il y avait Nèg’ Marrons, Arsenick, Stomy, Doc Gyneco,… C’étaient de sacrées personnalités. Déjà d’avoir une bonne équipe c’était super important. Et oui, au-delà de ça, cette envie d’auto-indépendance, cette dalle, cette envie de créer, de se pousser les uns des autres, de se serrer les coudes, a permis à chaque membre de s’élever. Le truc qu’il y a de bien avec Secteur ä, c’est qu’avant d’être artistes nous sommes amis, nous avons des liens familiaux avant la musique, on a kiffé faire de la musique ensemble. Si un album marche ou pas pour l’un ou pour l’autre, on s’en fout, on se retrouve toujours avec des liens familiaux.

Secteur ä – © Radio France

Et c’est pour ça qu’après, quand j’ai monté le label Issap Productions, on a développé le groupe Bisso na Bisso avec toujours le même état d’esprit. On voulait créer une musique qui nous ressemble encore plus, plus profonde au niveau de nos origines, un mélange de culture urbaine et de culture africaine.

Justement, c’est quelque chose que je trouve fou dans ta carrière. Que ce soit avec Bisso na Bisso ou avec les diverses compils que tu as produites (la série des « Dis L’Heure 2 », ndlr), tu as très souvent mis en avant la musique africaine et caribéenne. Qu’est ce qui t’as motivé à proposer cette musique ?

En fait quand on a commencé, on a beaucoup copié les Américains. Après quand on s’est mis au rap, on a voulu faire un rap qui nous ressemblait. D’abord un rap qui ressemblait à nos quartiers, et ensuite, en y réfléchissant, un rap qui nous ressemblait personnellement. Ce sont les albums solos. Tu vois quand t’es au quartier et que tu rentres à la maison, il y a ta mère qui te parle africain, t’as les confessions du prêtre, tu as la culture du Congo. Donc cette recherche de vérité dans la création c’est ce qui nous a fait créer Bisso na Bisso. Et avant Bisso na Bisso ça colle aussi avec le discours de Ministère Amer, on voulait vraiment commencer à sampler des musiques qui nous ressemblent, des musiques de nos parents, et pas forcément d’être tout le temps à sampler des boucles américaines. C’était une logique pour moi. On a déjà voulu faire une reprise africaine dans le deuxième album du Ministère Amer (« 95200 » sorti en 1994, ndlr), mais je n’ai pas eu les droits donc je n’ai pas pu le sortir. Mais l’ancêtre du Bisso devait être dans 95200.

Et donc pour toi, comment expliquerais-tu que cela ait pris autant de temps à se démocratiser dans toutes les strates de l’industrie musicale ? Sachant qu’à l’époque ces morceaux étaient de gros succès commerciaux.

Parce qu’aujourd’hui on vit dans une ère où on a des télévisions dans nos poches, on est connectés au monde. Il y a beaucoup de mélodies, de sons dans la culture africaine qui n’ont pas encore été mises en avant et quand on les utilise, ça donne un goût de nouveau, d’exotisme, un coup de soleil, et les gens ont besoin de ça. Moi quand je vais au Congo, malgré les problèmes, tu prends quand même un bol d’air, d’ambiance musicale, de mélodie, parce que ce sont des pays où ça chante beaucoup, où la culture musicale est très présente. Mais si tu regardes bien, il n’y a pas que la culture musicale. Il y a aussi la culture cinématographique ou même la mode qui empreinte à ces pays car il y a énormément de chose en Afrique que l’on n’a pas encore exploité. Et quand tu es Africain tu le sais, tu le vois, et c’est pour ça que tu commences à le faire dans ta musique et que tu te rends compte que le métissage culturel apporte aussi quelque chose de bien, quelque chose de fort. Aujourd’hui les jeunes s’en servent car ils sont plus ouverts, ils voyagent plus facilement que l’ancienne génération.

Bisso Na Bisso
C’est vrai que c’est un point intéressant que tu évoques, je trouve qu’en Afrique la musique fait partie intégrante de votre culture, alors qu’en France c’est quelque chose de moins prononcé je trouve.

Oui, parce que ce sont des pays plus chauds, plus mélomanes et qui font un peu plus la fête. Ce sont aussi des pays avec beaucoup plus de soul, car il y a beaucoup plus de souffrance, et la soul est un mélange de tout ça.

Ce samedi 7 novembre, tu seras sur scène pour la 5eme édition des Hip Hop Symphoniques. Toi qui as connu les balbutiements du Hip Hop dès la 2eme moitié des années 80, que symbolise pour toi cet événement qui, dans la forme, est contradictoire avec ce qu’était une scène rap à l’époque, c’est-à-dire 2 platines et un MC avec des breaker autour ?

Déjà à l’époque du Ministère on essayait de ramener des musiciens, on avait déjà ce truc-là de vouloir ramener des instruments. J’adore le boom bap, le djing, le micro, tout le côté « classique » de notre discipline. Mais après avoir chanté tant de fois avec ton dj, si tu peux faire d’autres types de scènes c’est quelque chose de gratifiant, que ce soit pour le morceau ou même pour toi artistiquement. Cette semaine j’ai tourné quelque chose pour « symphonissime » avec un groupe philharmonique dirigé par Yvan Cassar. En tant qu’artiste c’est un kiffe. On n’a pas tout le temps l’occasion d’avoir un musicien derrière pour t’accompagner sur les morceaux, c’est une autre manière d’aborder sa musique et on doit apprécier des moments comme ça.

C’est vrai que ça donne une autre ampleur au morceau, un deuxième angle d’écoute.

Même le texte prend une autre ampleur, c’est très beau. Et puis j’adore les mélanges. On est rappeur, on écrit, mais après ce qui est génial c’est de créer autour. J’avais déjà fait une petite tournée avec dj et quatuor à corde, et aussi quelques scènes pour des journées spéciales où on réadapte ton titre avec un ensemble philharmonique, et ça tuait. C’est vraiment trippant.

Quelles sont tes prochaines actus ?

Il y a un film où je joue le premier rôle qui va sortir en début d’année (« Le Prince » de Lisa Bierwirth, en salle en février 2021). Je vais aussi sortir des titres l’année prochaine. J’ai beaucoup produit ces dernières années et maintenant on va s’amuser.

Propos recueillis par Just Charly Brown