Entre deux mondes. Voilà comment nous pourrions définir la vie et l’œuvre de Joos van Barneveld alias DOES. L’artiste néerlandais, né en 1982, s’oriente dans un premier temps vers le monde footballistique et découvre dans le même temps l’univers du graffiti. A force de rigueur et de travail, il parvient aux rangs des premières divisions des Pays-Bas mais conserve l’anonymat pour peindre illégalement dans la ville. Entre la lumière des stades et l’ombre des rues, l’artiste mène une double vie qui prend un tournant en 2010. Suite à une série de blessures, DOES met de côté sa carrière sportive pour se consacrer pleinement à la création artistique.
Depuis, il cultive l’équilibre entre la liberté de l’art urbain et la rigueur enseigné par le club de Fortuna Sittard. C’est dans la beauté brute des murs et dans la composition des lettres que DOES puise son inspiration. Influencé par les pionniers américains et européens du graffiti, il a su faire évoluer son travail pour aboutir à un style qui lui est propre : une maîtrise incroyable des couleurs, formes et textures. Son lettrage vibrant s’étire tant, qu’il semble répandre son énergie sur les fresques flamboyantes réalisées par l’artiste néerlandais à travers le monde (Australie, Maroc, Écosse, Mexique, États-Unis, etc). Ce travail sur mur alimente ses créations en atelier qui permettent d’appréhender d’une toute autre manière l’esthétique urbaine.
L’exposition inaugurale Aesthetics à la galerie Artcan de Paris (du 15 septembre au 11 octobre 2020) a été un événement marquant de ton actualité artistique en France. Tu as exposé ton travail aux côtés de Markus Genesius. Quel a été le déroulement de ce projet ?
L’exposition avait été reportée en raison des restrictions dues à la COVID-19. Après des mois de confinement, nous avons finalement eu une fenêtre de tir. Cela a fait un bien fou de pouvoir se retrouver au travers de l’art dans la superbe galerie ArtCan Paris ! J’avais travaillé avec la galerie deux ans auparavant, ils m’ont invité pour une exposition. C’était génial de travailler avec Markus, nos pratiques artistiques fonctionnent bien ensemble. Nous avons tous les deux évolués depuis le graffiti jusqu’à travailler avec des formes abstraites et expérimenter la 3D, à la recherche de ce qui se cache sous la matière. J’ai présenté quelques unes de mes sculptures de la série BRIQUE qui sont constituées de fragments de murs pris dans la résine. J’ai également exposé plusieurs de mes récents collages. Le vernissage a été un succès, bien que l’atmosphère ait été quelque peu étrange en raison des masques portés par tout le monde.
Tu as profité de ton passage à Paris pour faire quelques escapades avec des artistes de la scène francilienne à l’instar de Katre. Une anecdote à nous raconter ?
Je connais Katre depuis douze ans, il m’avait rencontré pendant que je séjournais à Sydney en Australie en 2011. Ces derniers temps, nous travaillons tous relativement isolés dans nos ateliers, avec des interactions limitées, c’était donc super de pouvoir se retrouver face à face. On s’est donné rendez-vous, on s’est amusés et on a un peu « joué » en faisant un mur à côté de son atelier.
Parmi les œuvres présentées à cette exposition, il y avait plusieurs sculptures de ta série « Brique » sur laquelle tu travailles depuis maintenant deux ans. Comment décrirais-tu ta démarche sur ce projet ?
La série BRIQUE est le résultat d’une évolution constante de mon style. Depuis des fresques en deux dimensions ou des toiles, mon travail a lentement mais sûrement évolué vers une forme d’art 3D. J’ai toujours été influencé par les effets d’ombres et de lumière afin de créer de la profondeur dans mes œuvres. Pour mes murs, j’utilise du ciment afin de préparer la surface et générer une profondeur me permettant d’obtenir des effets de 3D avec des ombres naturelles. Travailler cette matière m’a poussé à prélever des morceaux d’anciennes fresques et de les remodeler sous une forme nouvelle, les sculptures BRIQUE. J’attends de voir vers quoi se dirige ma pratique, mais j’ai pour ambition de travailler sur des projets de plus grande ampleur, possiblement avec des immeubles. Mais tout cela doit évoluer naturellement.
Tu as également fait découvrir au public de nouveaux travaux, des collages. Tu étends donc ta pratique à de plus en plus de médiums ?
Je suis toujours en quête de nouveaux médiums artistiques et de nouvelles méthodes pour développer mon art, mais comme je l’ai dit, cela doit suivre une cheminement naturel. Au bout du compte, ce n’est pas le matériau qui importe le plus. Mon style doit rester reconnaissable. Depuis la série BRIQUE, ça a été une étape logique vers les collages, en termes de détail, de composition et de jeu d’ombres et de lumières.
Ce nouvel élan créatif est né d’un contexte sanitaire particulier… Outre la création artistique, quel a été l’impact des confinements successifs sur tes projets artistiques ?
Les confinements ont eu un impact important sur ma pratique. Les collages, par exemple, sont nés lors de cette période. J’ai passé beaucoup de temps dans mon atelier à la maison, à pratiquer et perfectionner mon style. Avec les écoles et les garderies fermées, mes fils étaient souvent à la maison avec moi. Les voir couper du papier et les assembler avec d’autres morceaux pendant que je les aidais avec la colle m’a donné envie faire mes propres collages.
J’ai également lancé la DOES Gallery ; nous avons transformé mon atelier maison en espace multifonctionnel – moitié atelier, moitié galerie – avec un mur pour présenter mes dernières œuvres au public et les rendre directement disponibles en ligne. En y repensant, je vois ces confinements comme des périodes difficiles mais fructueuses pendant lesquelles j’ai saisi l’opportunité de prendre du recul pour découvrir de nouvelles choses. Ça a été également une bénédiction de passer tout ce temps avec ma famille. Les enfants me déconcentraient régulièrement, ce qui pouvait être agaçant, c’est finalement devenu un entraînement qui me permet désormais de replonger dans ma bulle créative plus facilement. Pour être franc, je n’ai pas spécialement eu le choix de faire avec. J’essaye toujours de trouver le positif, même dans les situations compliquées.
Tout ceci témoigne d’une capacité d’adaptation. Ton livre First 20 years illustre parfaitement l’évolution de ton style depuis ta première piece en 1997. Comment régénères-tu ton inspiration ?
Je puise souvent mon inspiration dans les formes et les couleurs que je vois au quotidien, pendant que je voyage ou que je fais de la randonnée dans la forêt voisine. Mais surtout, chaque œuvre que je fais inspire la prochaine dans une série de successions logiques. C’est comme ça que j’apprends et que je développe mes compétences. Cette progression lente mais régulière est particulièrement évidente dans le livre First 20 years. Tu peux voir que pendant les six premières années, j’essayais de trouver mon propre style en expérimentant les formes des lettrages. En 2006, j’ai clairement choisi une voie et commencé à perfectionner mon style et ma technique. J’ai appris à comprendre les lettres, leur composition, les connexions et l’équilibre entre elles. C’est quelque chose dont je suis particulièrement fier.
Tu verras qu’au travers de ma carrière artistique, il y a eu plusieurs étapes qui m’ont conduit là où je me tiens aujourd’hui. Souvent ces étapes sont liées à ma vie privée. Quand je revois ces événements, je constate l’évolution de mon style dans les années qui suivent. Par exemple, lorsque j’ai quitté ma carrière de footballeur en 2008, je suis passé par une phase difficile dans ma vie. C’est pendant cette période que j’ai découvert et commencé à travailler avec les croquis colorés. Une autre étape a été la naissance de mon fils aîné en 2014. J’ai commencé à essayer de nouvelles choses, travailler avec des craquelures ou des coulures afin de donner plus de profondeur à mon travail. La créativité et le développement en tant qu’individu sont définitivement interconnectés.
Malgré les renouvellements constants, on ressent toujours l’importance primordiale du lettrage sur lequel insiste Phase 2 dans son manifeste de Style Writing from the Underground. Tu as co-fondé le collectif Loveletters avec Nash, Chas et Tumki. Quels sont les artistes qui t’ont influencé à tes débuts ? Quelle est ta dernière découverte ?
Pendant ma carrière footballistique, j’ai appris à travailler en équipe, s’inspirer et s’entraider les uns, les autres. Ça a été naturel de m’entourer d’une équipe d’artistes. C’est pourquoi j’ai cofondé le Loveletters-crew.
Une fois sorti de ma carrière sportive en 2008, j’ai senti qu’il fallait que je me développe en tant qu’individu, tant sur le plan personnel, qu’artistique. Ma femme et moi avions décidé d’aller vivre en Australie quelques temps. Une autre étape a été ma première exposition personnelle « I love Letters » à Sydney en 2011. J’avais peint plusieurs œuvres pendant notre séjour en Australie et je m’étais fait livré des travaux plus anciens depuis les Pays-Bas. J’étais assez nerveux, mais l’exposition s’est avérée être un franc succès, j’avais presque tout vendu dès le premier soir. Ce moment a été une révélation, une confirmation de mes capacités et de la possibilité de vivre en tant qu’artiste.
Aujourd’hui, je suis inspiré par les personnes qui repoussent les frontières. Je ne peux pas mentionner quelqu’un en particulier, ce peut être quelqu’un que je rencontre ou quelque chose que je découvre dans un magazine ou sur les réseaux sociaux.
Ton travail a été récemment exposé à la ABV Gallery d’Atlanta (USA). Quels sont tes projets pour 2021 ?
Cette année est encore incertaine en raison de la pandémie. Je vais continuer à repousser mes propres limites artistiques, me familiariser avec de nouveaux matériaux et perfectionner mes collages. Une exposition à Paris au sein de l’hôtel Molitor devrait avoir lieu, sitôt que les restrictions liées à la COVID-19 l’autoriseront. Nous travaillons dessus depuis un certain temps et je suis particulièrement enthousiaste parce que j’ai déjà une histoire avec Molitor. Dans les coulisses il y a également beaucoup de projets qui se trament, comme des collaborations : un dîner artistique avec DOES, du design d’intérieur et d’équipements sportifs. Je suis sûr que cette année promet d’être excitante.
Suivre DOES sur Instagram : @digitaldoes