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Barry McGee et la subversion du paysage urbain

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En cette période d’effervescence artistique où les foires se succèdent et où les institutions nous font bondir à grands renforts d’expositions « événements », attardons-nous un peu sur un projet qui semble plus discret, malgré des affiches promotionnelles pour le moins chatoyantes. Du 16 octobre au 18 décembre 2021, la galerie Perrotin nous gratifie d’une exposition de l’artiste californien Barry McGee. Intitulée Fuzz Gathering, l’exposition nous invite à découvrir l’univers chaotique du plasticien au travers d’installations et de toiles. Ami·e·s lecteur·rice·s, à vos planches, à vos skates et surtout à vos bombes de peinture !

Vue de l’exposition « Fuzz Gathering » – Galerie Perrotin © Simon Grainville.

Le souffle court, galvanisé par la promesse de cette exposition monographique, je monte prestement les marches vers le premier étage de la galerie Perrotin. Disposés en haut des escaliers, deux tableaux aux motifs chamarrés accueillent le spectateur. Sans se poser la question de la pertinence d’exposer ainsi des œuvres que l’on peine à embrasser du regard, je pénètre dans la première pièce, aussitôt le spectacle commence. Un véritable spectacle « debordien » où les sollicitations visuelles incessantes n’arrêtent pas le regard. Un chaos de couleurs, de formes et de matières où les signes s’entrechoquent et s’interpellent. L’effervescence visuelle de la ville est ici retranscrite par Barry McGee qui y puise sa matière picturale.

Vue de l’exposition « Fuzz Gathering » – Galerie Perrotin © Simon Grainville.

Sous le regard distrait des galeristes présents, on s’avance dans un espace faisant office de prélude à l’ensemble. Au mur et sur un présentoir, sont disposés de manière anarchique photographies, esquisses, fanzines et autres caricatures tirées tout droit d’un Zap Comix ou d’un Mad Magazine. Barry McGee annonce son univers : définitivement hétéroclite et irrévérencieux. Né en 1966, diplômé du San Francisco Art Institute, Barry McGee a conservé toute sa gouaille adolescente au travers de son art. Mash-up urbain, cut-up visuel, bric-à-brac d’objets en tout genre, cette rétrospective Fuzz Gathering s’inscrit dans la continuité des autres projets exposés par l’artiste. On y retrouve nombre de motifs récurrents de son travail, à l’instar des ornements géométriques inspirés du textile ou des visages affaissés et caricaturaux dans lesquels on retrouve volontiers l’influence de Basil Wolverton et d’autres dessinateurs.

Vue de l’exposition « Fuzz Gathering » – Galerie Perrotin © Simon Grainville.

Le dessin occupe d’ailleurs une part importante de la seconde salle, y sont exposés plusieurs dizaines de croquis et de dessins naïfs signés du père de Barry McGee qui les esquissait de manière irrépressible lorsqu’il ne travaillait pas sur des carrosseries dans un garage. Cette présence paternelle dans l’exposition, accentue le rapport nostalgique de McGee aux environnements dans lesquels il évolue. Sa pratique s’accompagne bien souvent d’une fascination pour l’objet, son histoire, qui confère à l’atelier de l’artiste des allures de vide-grenier où sont entreposés fétiches de bois et assiettes, métamorphosés par leur contact avec d’autres entités hétérogène que l’artiste glane et accumule. Les tenants du « bon goût » pourront objecter, désignant comme « kitsch » et « facile » cette esthétique populaire faite de bric et de broc. À ceux-là, Barry McGee répond :

« L’art se fait dans une forme de colère contre l’art, et pas quand il sert d’instrument de contentement de soi pour les classes dominantes ».

Barry McGee, Untitled, acrylique et gouache sur bois, 144x 106 cm, 2021.

Twist and shout

Au milieu des années 80, le jeune Barry McGee s’embarque dans l’aventure du writing, inconscient du bouleversement induit par cette pratique sur sa future carrière artistique. Les crews The Perfect Crime (TPC) et The Most Fabulous (TMF) ouvrent la voie en recouvrant la ville de tags, throw-ups et pieces. Néanmoins le creuset punk/hardcore de San Francisco porte davantage à la révolte politisée et les slogans deviennent un motif à part entière du vocabulaire de l’artiste, notamment « Smash the state » que McGee voit à de nombreuses reprises au cours de son adolescence et qu’il réutilise, portant un constat global sur la politique et poussant ainsi un cri contestataire. Il multiplie alors les blazes pour brouiller les pistes et jouer de la liberté de l’anonymat (parmi eux, mentionnons : Ray Fong, Lydia Fong, P.Kin, Ray Virgil, B. Vernon). C’est cependant le nom de TWIST qui va faire la fortune de McGee. Très vite la figuration s’immisce aux côtés du nom. Des personnages stylisés aux traits cartoonesques font leur apparition, de même que l’image d’une vis, que McGee s’amuse à tordre et anthropomorphiser tout en conservant l’énergie originelle du « faire ». Pour Barry McGee, la dimension artistique du graffiti ne réside pas tant dans la beauté esthétique du lettrage que dans la dimension performative et réellement dérangeante du vandalisme. Lors de sa rencontre avec l’artiste, Aaron Rose (ndlr réalisateur du film Beautiful Losers) est décontenancé par la posture de McGee :

« La plupart des artistes graffeurs que j’ai rencontré étaient intéressés par l’idée de faire du graffiti une forme d’art reconnue, mais ce n’était pas le cas de Barry. Il voulait le garder illégal. Je crois que c’est sa manière à lui de manifester son sentiment de révolte ».

De fait, l’exposition Fuzz Gathering ne montre pas de post-graffiti (ndlr du graffiti sur toile, l’appellation faisant référence à l’exposition éponyme de 1983 à la Sidney Janis Gallery). Au gré des salles sont disséminés plusieurs clichés d’archives mettant en scène l’artiste et ses amis peignant maladroitement leurs premiers throw-ups ou bien certaines pièces mettant en avant la beauté incongrue du buff (ndlr effacement du graffiti, laissant en général des traces encore perceptibles) ; faisant en cela écho aux travaux de Matt McCormick ou Stephen Burke, également fascinés par l’esthétique abstraite des couches de peinture recouvrant les « souillures » murales.

Vue de l’exposition « Fuzz Gathering » – Galerie Perrotin © Simon Grainville.

Sweet home California

Malgré une pluralité manifeste de sources d’influence, l’art de Barry McGee fleure bon la culture populaire californienne. Sur les murs des espaces d’expositions, les planches de surf aux couleurs de l’artiste s’empilent, les typographies aux allures de sign paintings se répandent et les enseignes lumineuses à mi-chemin entre celles de Tokyo et San Francisco éblouissent la deuxième salle. C’est en 2002 dans un article du San Francisco Bay Guardian que le critique d’art Glen Helfand définit une tendance artistique regroupant la nouvelle scène contemporaine de San Francisco qu’il désigne sous le nom de Mission School. Aux côtés de Ruby Neri, Chris Johanson, Margaret Kilgallen ou encore Alicia McCarthy ; Barry McGee et ses comparses sont issus – ou gravitent autour – de la scène graffiti et « puisent leur esthétique dans les rues locales ». Définitivement populaire, leur pratique artistique est – selon les mots de Helfand :

« D’autant plus satisfaisante que ces artistes sont devenus mondialement reconnus, avec une approche particulièrement humaine et honnête. Leurs travaux sont sincères, artisanaux, observateurs et leur réalisme urbain est filtré au travers d’intérêts divers comme le graffiti, les comic books, l’écologisme et l’activisme social. Ils incarnent un renouvellement rafraîchissant, modeste et laborieux, axé sur les notions communautaires, qui résonne particulièrement à l’heure de l’incertitude climatique et des menaces tangibles ».

Vue de l’exposition « Fuzz Gathering » – Galerie Perrotin © Simon Grainville.

La dimension sociale est, en effet, particulièrement prégnante. Si l’on fantasme volontiers l’image d’Épinal associée à la West Coast, la réalité sociale est beaucoup plus nuancée. Aux pieds des villas, les sans-abris et les junkies déambulent dans la ville, la rue est leur domicile, leur univers… Derrière les visages fatigués et parfois hirsutes peints par McGee, se cachent certains de ces passants hagards et précaires. Les cadavres de bouteilles, les tôles ondulées, les carrosseries rouillées sont autant supports de création que vestiges de campements de fortune. Cette esthétique du chaos, du bruit, de la saleté, Barry McGee se la réapproprie en produisant une mise en scène qu’on pourrait estimer romantique. Malgré leur caractère « pop », les installations de McGee transcrivent une volonté de détournement, et même d’insurrection de l’espace urbain. À la société du spectacle dans laquelle on serait tenté d’inscrire l’exposition Fuzz Gathering, c’est bien davantage à la dérive situationniste que l’on devrait se référer au moment de parcourir les salles, en nous laissant guider de fragment en détail, dans notre « passage hâtif à travers des ambiances variées »…

Vues de l’exposition « Fuzz Gathering » – Galerie Perrotin © Simon Grainville.

Informations pratiques

Barry McGee – Fuzz Gathering

Du 16 octobre au 18 décembre 2021

Galerie Perrotin – 76 rue de Turenne (75003 Paris)

Site officiel : https://leaflet.perrotin.com/fr/view/166/fuzz-gathering


Sources et bibliographie

Catalogue de vente Artcurial, Outsider(s) : a history of beautiful losers, Paris, Artcurial, 20 octobre 2019, pp. 86-91.

CANIGLIA Julie, « Barry McGee – Walker Art Center », Artforum, décembre 1998 (https://www.artforum.com/print/reviews/199810/barry-mcgee-50069).

DEBORD Guy, « Théorie de la dérive », Internationale Situationniste, N°2, décembre 1958.

DEITCH Jeffrey [dir.], Art in the streets (Los Angeles, Museum of Contemporary Arts, 17 avril 2011 – 8 août 2011 ; New York, Brooklyn Museum, 30 mars 2012 – 8 juillet 2012), New York, Rizzoli, 2011, pp.213-219.

GASTMAN Roger, Beyond the streets, Los Angeles, R. Rock Enterprises, 2018, pp.274-275.

GOODYEAR Dana, « A Ghost in the family », The New Yorker, 10 août 2015 (https://www.newyorker.com/magazine/2015/08/10/a-ghost-in-the-family).

PRICCO Evan, « The Intuition at a « Fuzz Gathering »: Barry McGee », Juxtapoz, 18 octobre 2021 (https://www.juxtapoz.com/news/installation/the-intuition-at-a-fuzz-gathering-barry-mcgee-perrotin-paris/).

RASPAIL Thierry [dir.], Le Spectacle du quotidien : Xe Biennale de Lyon (Lyon, la Sucrière ; le Musée d’art contemporain ; la Fondation Bullukian ; l’Entrepôt Bichat, 16 septembre 2009 – 3 janvier 2010), Dijon, Les Presses du Réel, 2009 [424p.].

ROSE Aaron [dir.], Beautiful Losers : contemporary art and street culture (Cincinnati, Contemporary Art Center, 13 mars 2004 – 24 mai 2004 ; San Francisco, Yerba Buena Center for the Arts, 17 juillet 2004 – 3 octobre 2004 ; Newport Beach, Orange County Museum of Art, 5 février 2005 – 8 mai 2005 ; Baltimore, The Contemporary Museum, 1er juillet 2005 – 24 septembre 2005 ; Tampa, USF Contemporary Art Museum, 4 novembre 2005 – 17 décembre 2005), New York, Iconoclast, 2004 [287p.].

ROSENFELD Jason, « Barry McGee with Jason Rosenfeld », The Brooklyn Rail, février 2018 (https://brooklynrail.org/2018/02/art/BARRY-MCGEE-with-Jason-Rosenfeld).

TYLEVITCH Katya, Barry McGee (New York, Cheim & Read, 4 janvier 2018 – 17 février 2018), Bologne, Damiani, 2018 [70p.].

VITRANI Hugo, « Barry McGee : légende vivante du graffiti », Beaux Arts, 24 septembre 2021 (https://www.beauxarts.com/expos/barry-mcgee-legende-vivante-du-graffiti/).