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Rouge : la vie, de l’autre côté de la fenêtre

La vie, de l’autre côté de la fenêtre… comme à travers les glasses dans Orphée De l’autre côté du miroir, la fenêtre ouvre, depuis la maison forclose sur des univers parallèles. Témoins inversés de la « rationalité », mondes interlopes où toutes les rencontres sont possibles, qui répondent souvent à la quête intérieure qui nous anime. A l’image de Dorothée dans Le Magicien d’Oz, où il n’est pas moins question que de trouver une alternative démocratique.

Il suffit de traverser la rue, pour trouver la vie et un emploi, c’est bien connu ! Mais surtout son voisin. La vie est à ceux qui veulent bien sortir du cadre pour lui donner de l’ampleur. « A vida e arte de encontro », la vie est l’art de la rencontre comme disait le poète et diplomate Vinicius de Moraes. Le festival Fenêtre sur Rue à Aubervilliers est dans cette optique.

Ainsi, les peintures installées sur les fenêtres rendues muettes et les murs bouchés, que l’association l’Écluse a permis aux artistes d’apposer sur les miroirs aveugles des rues de la ville, prennent tout leur sens en ce qu’elles témoignent des habitants qui les peuplent ; un juste retour du droit à l’image !

L’éloquente démarche de l’équipe du canal Saint-Denis, a été de soumettre des photos des habitants aux peintres, qui devaient en choisir trois pour les transfigurer dans leur style. Parmi les contributions on compte : Ernesto Novo, Jérôme Liard, Jean Dessailly, Marie-Aimée Fatouche, Nubian, Sckaro, Skio ; Sêma Lao, Guaté Mao, Joachim Romain, Levalet, Évazésir, Kazy Uscley, Gilbert Mazout, Enear, Bault et… Rouge, alias Jessica Hartley.

L’artiste, originaire de la région de Bordeaux, a disposé trois portraits, dont les teintes sépia assurent le raccord avec la brique de l’immeuble et la mémoire du temps présent.

Rouge, rue du Port – Aubervilliers, Fenêtre sur rue, Mai 2021, photo Sigismond Cassidanius

Le propos de la manifestation est rendu à la perfection, les couleurs vives ont palies mais il demeure dissimulé dans cet encadrement, la douceur nostalgique d’une silhouette, une présence rassurante parce que familière, dans le pli du bâti.

J’imagine la paire de souliers rouges de Dorothée sur les pavés dorés, la vie y bat sur le boulevard du rythme. Sous les dehors de nos plis que cachons-nous de nos vies ? Les affiches de nos égos sur les réseaux sociaux suffisent-elles à les remplir ? Où est notre part de lutte pour une ouverture à nos enclosures, puisqu’il s’avère que nous en sommes en déshérence démocratique, puisque nous nous heurtons à des lois liberticides ? Témoigner, c’est résister.

Dans le pli se loge une réalité diverse, riche des variations de la lumière, que les méplats du tissu irisent. La peinture se pliant aux vœux de l’artiste, c’est l’ambition de tous les peintres ! Cette esthétique néo-Baroque multiplie les fractales à l’infini et laisse d’autant plus d’espace au public qu’il y a assez de sentiment, juste un écheveau artistement agencé, pour y relier sa
vie. C’est l’esthétique de la vitesse entrevue par Paul Virilio, qui nous a alerté le premier sur cette contemption, l’information instantanée ; l’addiction à l’immédiateté. « Le temps, c’est le cycle de la lumière ».

Rouge, « Hold your own », rue Alphonse Mercier – Lille, BIAMS, Mai 2021, photo Béranger Patoux

Rouge accomplit l’opération alchimique de la transmutation du plomb en or, de la matière en la lumière, révèle la pierre philosophale d’un espace de pensée singulière et touche à l’universel. Le grand-œuvre en alchimie commence par l’œuvre au noir, puis celle au blanc et achève au rouge, faut-il y voir un hasard ?

L’artiste pose davantage de questions qu’elle n’avance de solutions. La démarche baroque est de saisir les rais du soleil dans les raies de son drapé. Longer cette ligne de crête, c’est se mettre en abîme soi-même au sein de ses draps, s’enrouler dans les « soi-eries », se cacher sous les couvertures ; pour se retrouver.

Le miracle opère, les plis ouvrent à de nouvelles perspectives. Si on les met à plat, ils forment une plus grande envergure et délimitent un terrain de jeu idoine aux couleurs de nos rêves intérieurs…


Références littéraires

Sigismond Cassidanius