Le poing levé, même lorsqu’il tient une bombe de peinture, l’artiste crie Nô et c’est son nom ! Il travaille ses pochoirs depuis longtemps. Ancien étudiant en Sciences-Sociales, il délivre aujourd’hui des cours d’histoire et de sociologie. On pourrait penser qu’il a eu Cesare Battisti 1 comme père et La Passionaria 2 comme petite maman. À l’origine c’étaient plutôt des slogans politiques ou des appels au rassemblement citoyen. Et puis, il a voulu passer la barrière de la figuration, y arriver de plain-pied, afin d’élargir son public. L’objectif est atteint.
Car l’art, ce n’est pas tant comment on le dit, que ce que l’on dit à proprement. En l’occurrence Nô ne manque pas de discours. Le sien est ancré dans ses représentations de la variété de l’espèce humaine, comme un plaidoyer de la diversité. Ou bien, ces fils derrière des fils barbelés, ces prisonniers qui nous interrogent de leur point de vue, nous qui nous croyons affranchis et cependant les esclaves de nos servitudes volontaires. Il transparaît, à travers le visage de ces filles, souvent la bouche armée, comme pour en appeler à la lutte ouverte, la réciproque est juste aussi.
Les deux mots les plus difficiles à prononcer sont « Oui » et « Non », disait Pythagore. Mais c’est vrai qu’ils nous engagent plus qu’aucuns autres. Et le « non » n’est pas le plus facile des deux. Il est toujours plus commode de donner quitus à son interlocuteur d’un « oui » consenti, plutôt que de lui opposer un « non » bien senti. Et cependant, ce sont les « non » qui nous
construisent, qui délimitent notre rapport à l’interdit, qui nous font. Les « oui » nous laissent passer entre les mailles, nous donnent l’ausweis pour franchir la frontière, ils peuvent être source de belles expériences individuelles ou s’avérer catastrophiques dans la forme que revêtent les évènements qui en découlent.
Dans ce monde contemporain, où tout est consensuel, où les ventres mous pratiquent la politique de l’en même-temps, dire « non » est une posture étrange et dans ce sens, elle est minoritaire. Car « la minorité a toujours raison » selon Eugène Ionesco, il faut un contradicteur au débat démocratique, sans quoi, il n’y a plus de liberté d’opinion, NÔ y répond, à sa façon.
Il ne lui suffit pas de s’inscrire dans la lignée des pochoiristes-réalistes, il cherche autre chose et notamment une interpellation de son spectateur, il ne se contente pas de poser, il s’interpose. Il veut retenir le souffle du passant pressé, empêché de s’accorder un sursis dans sa marche. Pourquoi ce visage se répand-il en tags, quel est le lien entre ce jet travaillé et cette
énergie primale de la rue, où c’est le geste qui reprend ses droits sur les standards. Réinterpréter les règles, pour mieux les apprivoiser, c’est une manière de faire qui appartient à notre artiste, NÔ ?