Le point de départ
Le contexte social était déjà tendu quand celles et ceux ayant participé à ce qui a été d’abord appelé « la Marche des Beurs » arrivent à Paris le 3 décembre 1983 pour sa manifestation. Deux semaines avant un jeune d’origine algérienne a été jeté hors du train entre Bordeaux et Vintimille par des légionnaires. A Strasbourg, l’étape s’achève par une marche à sa mémoire.
Partie de cité de La Cayolle dans les quartiers Nord de Marseille ; les marcheurs ont commencé un périple qui leur fait traverser « la France profonde » dans un message de paix et d’égalité et les amène à Grenoble, Chambéry, Dijon, Lille, Roubaix, Strasbourg… Paris.
La Marche est causée par un énième fait de société : un jeune Français originaire du Maghreb est la cible d’un tir policier. Entre 1980 et 83, on dénombre en effet pas moins de quarante morts de jeunes hommes issus de l’immigration ! Ce sont les enfants de la « deuxième génération » qui payent ce lourd tribut. Les filles ne connaissent pas le même sort. Elles en souffrent cependant au titre d’épouses, sœurs, mères et comme un chœur grec, elles se font la voix des morts.
En l’occurrence sans aucune raison de tirer, puisque le jeune homme s’interposait entre un enfant et un chien qui l’attaquait ! Toumi Djaïdja décide alors, sur le modèle des marches pacifistes de Gandhi ou Martin Luther King, d’organiser un périple : tendre la main au pays, le rencontrer et obtenir son soutien pour l’égalité et contre le racisme.
Dans toutes les villes traversées, ces marcheurs impénitents pour l’égalité, sont la cible de policiers, de gendarmes, de soldats, des skins des Halles… ou d’un simple habitant de cité comme à La Courneuve en juillet 83, qui prend son fusil pour tirer sur un enfant de neuf ans et le tue. Au motif qu’il « jetait des pétards ». Mais quels sont les acteurs de ces tragédies ? Amadou Gaye qui suit la Marche en tant que photographe en proposera de nombreux clichés, parmi ceux-ci, le suivant qui rend compte de l’agressivité ressentie par la deuxième génération. Vraisemblablement, peu de Français voulaient réaliser qu’ils étaient là pour rester et acceptaient de leur faire une place dans la société.
La scène finale est à l’Elysée, le soir du défilé parisien. François Mitterrand, fidèle à sa promesse faite aux Minguettes quelques mois auparavant, reçoit huit représentants des « marcheurs » et annonce, à l’issue de la rencontre, la carte de séjour de dix ans.
L’intention du peintre
L’artiste Ernesto Novo nous enrichit par la sensibilité de son partage ; par la teinte de sa vision personnelle, dans cette triangulaire où il nous inscrit avec ses modèles et lui-même. Il ne suit pas de chemin tout tracé, il crée le sien et laisse une trace. Et, ce faisant : il nous « re-trace ».
« Issu d’une famille d’origine vietnamienne de 11 enfants des quartiers nord de Nice, mon travail est axé sur le vivre ensemble, sur le fait de mettre en lumière les gens de l’ombre ».
« Le parti pris, c’était de laisser une part du mur d’origine. Aussi, le choix a été fait de recouvrir partiellement le fronton du mur et de redessiner les photos d’archives de la marche de 1983 dans un style croquis en bichromie. J’ai laissé des espaces aérés avec sur les bords des contours de personnages. Je voulais peindre cette fresque comme une peinture sur toile à l’atelier mais sur 25 mètres de hauteur, garder cette liberté de geste. J’ai placé une foule dans le bas en bleu outremer plutôt que du noir et blanc trop vintage à mon goût, puis dans le centre j’ai continué en bichromie rouge et blanc. J’ai laissé circuler dans et autour de l’œuvre la couleur de fond beige clair. Sur la partie de gauche, nous avons choisi avec la mairie et le Département une fleur d’oranger aux couleurs contrastées, rayonnantes et solaires, j’ai un faible pour le orange vif en arrière-plan. La fleur d’oranger symbolise : l’innocence, la pureté et la générosité. Et pour conclure j’ai fait circuler mes spirales colorées récurrentes ».
Fresque inaugurée le 2 décembre 2023 en présence de la municipalité de La Courneuve et des élus du Département, après 12 jours de travail avec mon assistant Tcheko, respect pour leur engagement.
Remerciements : Malo le curateur pour l’Association « l’Ecluse », le maire de La Courneuve Mr Poux, Le Département de Seine-Saint-Denis, Mr Stéphane Troussel et le Collège Poincarré de La Courneuve, spéciale dédicace à Toumi Djaïdja.
@ernesto.novo
Sources : France Culture, Musée de l’Histoire de l’Immigration, Seine-Saint-Denis Actualités