Si les pratiques foisonnent c’est que le parcours et les inspirations de ces artistes de rue sont eux-aussi d’une grande richesse, comme le montre la sélection artistique de la foire. Certains, comme le Monkey Bird crew (Galerie Sisso) venu du graphisme et du design, se nourrissent de sociologie et de psychanalyse, et développent une œuvre animalière pleine de philosophie ; alors que d’autres, comme l’artiste Shaka (Galerie Lazarew), venu à l’art par l’entremise de l’installation numérique, puisent dans les sciences physiques et se consacrent aussi bien à la sculpture qu’à l’huile sur toile inspirée des grands maîtres classiques. D’autres encore, comme Hopare (Galerie 42b), enfant du graffiti et pur produit de la rue, développent un travail plus instinctif dans un style qui évoquent les peintres futuristes italiens.
La première édition de l’Urban Art Fair a donc mis en avant la diversité des styles mais également celles des conceptions et valeurs de l’art urbain entre ses acteurs. Le passé gaffiti des uns alimente beaucoup le dilemme de l’entrée en galerie et le diktat du marché de l’art contemporain. Pour le street artist parisien Codex Urbanus, qui égraine ses animaux chimériques sans prétention dans les rues de Montmartre, « le critère unique du street art est l’illégalité ». En revanche, le duo des Monkey Bird voit dans le cadre institutionnel un moyen d’étendre sa pratique, ainsi qu’une stabilité lui permettant de développer son œuvre en profondeur et sur des surfaces monumentales. L’évènement présentait également des artistes dont la démarche n’est plus à proprement parler « urbaine » comme Kan, du DMV crew, qui se consacre aujourd’hui presque exclusivement à son travail d’atelier.
Devant un tel panorama éclaté, on pourra se demander ce qui rassemble encore ces artistes présentés sous une même bannière : c’est la rue comme point de départ ou lieu de passage, qu’ils l’aient investie en graffeurs vandales ou en artistes pochoiristes à la recherche d’un dialogue avec la ville. Même si pour certains artistes exposés lors de l’événement, la rue fait partie du passé, la majorité continue de la considérer comme leur bouffée d’oxygène. « Au bout de deux mois en atelier, j’ai peté un câble, et j’ai pris un billet d’avion pour Bangkok pour aller graffer » nous dit Hopare, la figure montante du street art français qui avoue ne pas pouvoir rester enfermé très longtemps entre les quatre murs d’un atelier. Pour cet artiste jeune et fougueux, le vrai plaisir reste de réaliser des muraux dans des lieux improbables loin des sentiers battus du street art. Un autre fil rouge de ce mouvement qui se laisse difficilement définir est l’avidité de ces artistes pour l’expérimentation et les nouveaux supports. Passer de la rue à la toile, ou de la toile à la rue, c’est un défi technique qu’ils aiment relever et qui enrichit leur approche, tout en restant cohérent avec leur démarche générale. On en prendra pour exemple l’incontournable Levalet, artiste emblématique d’une œuvre contextuelle et décalée, qui conserve son esprit de dérision en galerie, avec des collages qui continuent d’interagir avec le public et l’environnement.
Cette première édition de l’Urban Art Fair pose donc en plein la question de ce qu’est cet art urbain aux allures protéiformes, dont les acteurs semblent se retrouver autour d’une même volonté décomplexée de sortir des cadres, et un esprit d’indépendance marquée par la liberté qu’offre la pratique de rue : un esprit frondeur que l’institutionnalisation du mouvement ne parvient pas encore à encadrer !
Article d’Hélène Planquelle
Photos de Mick Dupont et Kembi Rick