Les portes du RER C s’ouvrent et je descends à Vitry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne. Aux premiers abords, le ton est donné. Plus je m’enfonce au cœur de la ville et plus la renommée de la capitale française du street-art ne peut être contestée. J’y croise plusieurs indices diversifiant tous les styles de l’art urbain, du graffiti au pochoir en passant par le collage. Enfin, j’aperçois ma première boîte aux lettres, entièrement taguée, véritable sculpture urbaine réhabilitée par les artistes. Dessus, un pochoir à l’esthétique inimitable retient mon attention, il est signé C215.
En continuant mon chemin, c’est plusieurs autres pochoirs en guise de cailloux blancs qui me mènent au repère de l’artiste. Parmi eux, des œuvres de toutes tailles, plus ou moins cachées et toujours cette poésie et cette minutie qui ont fait la renommée de C125 par-delà les frontières. Des visages d’enfants, de vieillards, de marginaux et quelques chats bombés sur des coins de murs côtoient les habitants de Vitry-sur-Seine dans leur quotidien. « J’aime beaucoup ses dessins. Ça rajoute de la gaieté », me confie une commerçante du quartier.
J’arrive dans le quartier de la Glacière, ou s’est implanté l’atelier de Christian Guemy, alias C215 et je suis directement accueilli par son assistant. En effet, l’artiste est en ce moment au sommet de sa gloire et enchaîne les interviews que ce soit pour des magazines, sites web voir pour le JT de TF1, lui laissant peu de temps pour faire des courses. « Ces temps ci, Christian est complètement surbooké entre les journalistes, son travail et ses voyages, alors moi je l’aide un peu. » En attendant d’être reçu, j’ai le temps d’observer quelques œuvres en devenir dans la cour : boîtes aux lettres, sculptures et installations parmi un nombre incalculable de bombes de peinture usagées.
Fragments d’un artiste amoureux
Quand il parle de son succès, C215 est encore étonné de sa notoriété dans le monde du street-art. « Je n’ai jamais cru que je serai artiste un jour. A la maison, ce n’était même pas considéré comme un métier. D’ailleurs, quand j’ai commencé à faire du graffiti de manière sérieuse en 2006, il y avait quasi-personne qui en vivait autour de moi ».
Autodidacte, C215 a étudié à l’université les Humanités dîtes classiques avec un parcours d’historien en prolongeant son cursus avec un master en Histoire de l’Art et un autre en Histoire de l’Architecture tout en travaillant pour l’encyclopédie des compagnons du devoir. Il les quitte afin de devenir chargé d’études pour un syndicat de meubles et se lance dans la finance et le monde des marchés internationaux.
C’est après une rupture sentimentale avec la mère de sa fille de neuf ans, Nina, que Christian considère ce don pour le dessin non pas comme une carrière future, mais tout d’abord en tant que medium pour délivrer un message personnel, et ceci en s’attaquant aux murs de la rue que Nina prenait pour aller à l’école.
Très vite, C215 est contacté par les premiers professionnels du street art et est appelé à faire quelques vernissages. En 2008, d’une longue série, il fait sa première exposition à Sao Paulo qui s’intitule « Nina, mon amour » Cependant, cette notoriété est encore aujourd’hui mal assumée par C215, qui malgré son statut d’artiste, s’est fait innombrablement arrêté par la police à travers le monde, pour la simple pratique de son art, non seulement illégitime mais illégal. « Quand on expose, on s’expose. A des risques, à des coups. La frénésie actuelle ne durera sûrement pas, et quand ce phénomène de convergence d’intérêt général sur le street art s’évanouira, je prendrai enfin du temps pour me reposer un peu. »
Les portraits fragmentés si singuliers de C215 viennent d’un état émotionnel torturé, un sentiment psychologique personnel brisé, que l’artiste insuffle dans la majorité de ses pochoirs, tous méticuleusement découpés à la main. Si ses œuvres gratuites et périssables sont le souvenir inaltérable pour chacun de sa personnalité parfois disloquée, de ses propres blessures, elles sont aussi le reflet d’une conscience collective, la même qui scande l’importance de l’Humanité dans la société actuelle. Les murs ne sont que le support de cet « art moyen » qui est l’Art de la rue, et non l’art de rue, comme C215 aime à rappeler.
Texte et photos recueillies par
Etienne Gallais , photojournaliste freelance.