La galerie Open Walls : un regard berlinois sur l’univers de l’art urbain

Dans le cadre de l’Urban Art Fair,qui aura lieu du 22 au 24 avril au Carreau du Temple à Paris, Guillaume Trotin, l’un des co-fondateurs de la galerie Open Walls et spécialiste du street art, plus spécifiquement de la scène berlinoise, partage avec nous son expérience de l’art urbain outre-Rhin. Il explique aussi le positionnement d’une galerie pleine d’histoire.

Comment la galerie Open Walls est-elle née et quel est son positionnement ?
Elodie et moi avons créé notre première galerie en 2008 : West Berlin Gallery, en collaboration avec le magazine Lodown. Le lieu a connu une ascension fulgurante et est rapidement devenu incontournable à Berlin. Mais nous n’étions pas complètement satisfaits du programme et avons mis fin à cette première esquisse en décembre 2011.
Logo de l'Open Walls Gallery

Logo de l’Open Walls Gallery

OPEN WALLS Gallery est née en 2012 de notre volonté de nous recentrer sur un programme Public Art plus précis. Pendant la première année nous avons fonctionné de manière itinérante et avons produit nos shows aux quatre coins du monde.
Ensuite nous avons repris la direction artistique de Stattbad Berlin, une ancienne piscine municipale et bains publiques reconvertis en centre d’art contemporain qui hébergeait aussi un club légendaire (Stattnacht, Grounded Theory, Boiler Room, ..), une trentaine d’artistes en résidence, et bien sûr notre galerie.
Stattbad Gallery

Stattbad

Ultime bastion de la culture underground berlinoise, le lieu a été fermé au printemps dernier. Depuis nous avons démangé dans le quartier de Mitte, haut lieu de la culture berlinoise depuis la chute du mur. Je recommande vivement la lecture de Berlin Wonderland : Wild Years Revisited, 1990-1996 pour comprendre l’histoire et la dynamique de Berlin.
Notre positionnement est clairement street art, même si personnellement je déteste ce terme galvaudé à coup de campagnes publicitaires, idem pour le terme d’art urbain même si j’en conviens cette terminologie est pratique pour s’adresser au grand public.
Je préfère le terme Public Art et partage l’avis de Johann Haehling von Lanzenauer (Circle Culture Gallery)  “The term ‘street art’ is done, over, I call this contemporary art. Street is just a medium.
Quels sont les artistes résidents de la galerie Open Walls ?
Nous travaillons uniquement avec des artistes que nous connaissons personnellement ou qui nous ont été recommandés par l’un de nos résidents. Nous sommes des artisans, pas des industriels et nous travaillons en famille. On me demande souvent quels sont les critères pour intégrer notre programme, c’est assez simple et assez semblable à la culture graffiti: qualité et quantité.
Qualité des pièces, du placement, de la documentation ; quantité parce que nous nous intéressons exclusivement à ce qui est authentique et qu’avant de pousser ma porte il faut avoir fait ses preuves dans la rue.
La rue est une excellente école, elle impose une discipline et une organisation quasi militaire, et une forte capacité d’autocritique.
Notre programme s’articule autour de plusieurs groupes et se compose exclusivement de résidents :
  • adbusting and culture jamming: OX, BR1, Vermibus, Jordan Seiler
  • urban interventions: Alias, Alaniz, Levalet, Aida Gomez
  • urban poetry: SP38, Anton Unai, Giacomo Spazio
  • street photography: Just, Thomas von wittich

Artiste OX – Photo issue de Fatcap.org

Depuis l’année dernière nous avons commencé à intégrer des artistes iraniens, en collaboration avec #YPA – youngpersianartists.com

 

Comment caractérisez-vous l’art urbain et le street art sur la scène berlinoise ?
Riches et diversifiés. A Berlin c’est la multitude de pièces de petites tailles est remarquable ainsi la présence dans tous les quartiers de la ville du street art. Nous proposons des visites guidées privées en français : berlinstreetart.com pour mieux comprendre la scène, son histoire, sa diversité et son impact sur le développent de la ville.

 

Pourquoi l’Urban Art Fair représente pour vous un événement important ?
Nous verrons après la foire s’il s’agit d’un événement important ou pas. Je trouve l’événement très bien construit et j’apprécie beaucoup le fait que pour une fois il y ait plus de contenu que du graffiti sur toile accroché sur des murs immaculés.
Pour comprendre ce mouvement il est important de l’expliquer et c’est ce qui différencie Urban Art Fair des autres événements. Thumbs up!
Par ailleurs la France est un marché important et nous nous devions d’être présents. Nous présenterons Vermibus.

Quelles sont les grandes tendances artistiques de Berlin ?
Que ce soit dans le domaine de la musique ou de l’art urbain, tout ce qui est produit à Berlin est généralement plus « rough » que ce qui se fait ailleurs. Ici on aime les choses brutes et authentiques.
Berlin a une longue tradition d’affiches, pochoir et graffiti, cela est lié à l’histoire de la ville. Le graffiti vient de Berlin Ouest et cela s’explique par l’influence américaine. Les affiches et les pochoirs viennent de Berlin Est et des protestations contre un régime totalitaire.
Aujourd’hui, toutes ces influences se mélangent. Pour les comprendre il faut regarder le travail de Jaybo Monk ou Anton Unai qui pour moi sont vraiment représentatifs du style Berlinois. Attention Berlin n’est pas l’Allemagne et ce qui se fait à Berlin est très différent du reste de l’Allemagne.
Jaybo Monk

Jaybo Monk

Quelles sont différences notables entre la scène artistique française et celle d’Allemagne ?
Toutes proportions gardées je trouve que le niveau est meilleur ici et plus sérieux. En France le marché de l’art urbain est tellement important qu’on voit beaucoup de choses. Il y a un vrai engouement, mais je serai curieux de savoir combien des pièces se revendront dans 10 ans.
Lorsque je regarde la scène française je vois beaucoup de décorations et peu de choses exceptionnelles depuis Ernest Pignon Ernest. Je considère que le graffiti ne convient pas sur toile et que les artistes et galeries qui s’abaissent à ses pratiques n’ont rien compris aux valeurs de notre mouvement.
Malheureusement ça reste souvent l’essentiel de ce que l’on voit en galeries et en salles des ventes à Paris. C’est triste. En Allemagne le marché est plus petit et plus conservateur, ce qui poussent tous les acteurs à travailler plus sérieusement. C’est important de travailler sérieusement, c’est ce qui crédibilise notre mouvement, encore jeune, qui laisse une majorité de collectionneurs avisés perplexes.
 
La scène est-elle influencée par des quartiers spécifiques ou des leaders d’opinion ? 
Le sujet est vaste. Il me passionne et je pourrais écrire un roman mais je n’ai pas le temps. Partager notre expérience et l’histoire passionnante de cette ville nous a poussé à faire des visites privées. Ceux qui pensent que tout a commencé avec la chute du mur n’ont rien compris. Berlin Ouest était déjà couvert de graffiti pendant la guerre froide. La tradition des performances remontent au 19ème.
Die beiden Cuvry-Graffiti 2009

Die beiden Cuvry-Graffiti 2009 à Keuzberg

La chute du mur n’a fait qu’accélérer les choses. Les quartiers de Mitte et Kreuzberg sont les plus influents. Si je dois citer deux acteurs incontournables : Marok (Lodown Magazine) et Jaybo Monk.

 

Quelle est votre image de la scène street art française ?
Je n’en ai pas une très bonne image, comme je le disais précédemment je trouve qu’il y a un phénomène de mode que je considère dangereux et contre-productif.  Fort heureusement il y a aussi des gens sérieux et vraiment passionnés. Agnes B, Jean Faucheur et Bob Jeudy par exemple font un travail remarquable et ils l’ont fait bien avant que ce mouvement devienne un phénomène de masse.
Levalet

Levalet

Coté artistes nous avons depuis longtemps repéré Levalet, que nous exposerons en finalement en novembre, et plus récemment Madame que nous intégrerons dans notre programme cet été. OX fait également un travail remarquable.

 

Souhaitez-vous étendre ou développer des collaborations avec des artistes français ? L’Urban Art Fair représente-elle une occasion d’accentuer des liens ?
Comme je disais un peu plus tôt, nous travaillons uniquement par cooptation et recommandation. Donc non je ne viens pas à Urban Art Fair pour rencontrer des artistes, j’y viens pour rencontrer mes clients et de nouveau clients. La France est notre troisième marché après l’Allemagne et les Etats Unis et en ce sens l’Urban Art Fair sera l’occasion d’accentuer des liens et d’en créer de nouveaux.
Nous sommes sollicités depuis de nombreuses années par toutes les foires parisiennes et avons jusqu’ici toujours décliné l’invitation. Yannick et Urban Art Fair ont su nous convaincre, nous avons hâte d’être à Paris.

Entre exploration urbaine et Street Art - J'écoute la ville battre au rythme des nouveaux modes d'expressions.