Signatures Urbaines : DaCruz X THG

THG Paris, fabricant de robinetteries design pour salles de bain et cuisine, a ouvert un showroom au début de l’année 2017. Il y organise aussi des expositions qui ont lieu tous les trois mois, comme cette collaboration avec DaCruz. Ayant carte blanche, l’artiste avait pour mission de « secouer » les codes classiques de la marque. Sur place, nous rencontrons Aurélia Voillot de l’agence 14 septembre et Chloé Pêcher, chargée de communication de THG. Elles nous présentent le projet et le lieu.

L’idée principale était d’intégrer l’univers assez luxueux de THG à l’univers graffiti de DaCruz afin de faire un clin d’oeil au nouveau showroom qui vient d’ouvrir à New York. C’est dans ce contexte que l’artiste a graffé la vitrine extérieure du lieu et redécoré certains élément comme une baignoire, dont la structure a été modifiée par les couleurs, mais également par des pièces brutes en laiton sortant de l’usine.

 

L’intervention artistique s’est également poursuivie par la création d’une cabane à l’étage. Entièrement habillée par l’identité graphique de DaCruz et des robinets, cette dernière a été fabriquée de toute pièce par l’artiste. Au travers de cette construction, nous pouvons y décrypter une symbolique entre le fait de pouvoir rentrer physiquement dans la cabane et celui de pouvoir pénétrer en quelque sorte dans la tête de l’artiste.

 

En exclusivité, voici l’interview de Da Cruz.

 

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© THG

 

Est-ce que tu peux nous résumer ton parcours en quelques mots ?

Comme mon histoire peut le montrer, je suis fortement lié à un territoire. Celui du XIXe arrondissement de Paris. Dans les années 80, j’ai vécu la culture hip-hop. Cela a marqué le commencement de ma sensibilité à ce mouvement qui avait la capacité de recycler une multitude de cultures différentes. Il s’agit d’un mille-feuille de plein de choses. J’ai été frappé par la puissance et la philosophie de vie qui en découle. A la fin des années 80, j’ai commencé à me chercher et à taguer. Puis au début des années 2000, en voyageant en dehors du continent européen et ayant toujours éprouvé une certaine attirance pour les masques, ça a été le déclic. Je m’inspirait des cultures auxquels j’étais confronté. Cela faisait également lien avec une série que je regardais plus jeune : Les Cités d’Or. Je réalise alors ma première fresque en dehors de l’Europe et commence à me focaliser sur ce que j’appelle de la bonne mondialisation : l’addition et la synthèse des cultures. Esthétiquement cela amène à marier les styles, ce qui nous conduit à aujourd’hui.

 

Tu as commencé à faire du graff dans les années 80. Depuis cette période, la culture graffiti et street art n’ont cessé de connaître une expansion. Les artistes exposent maintenant en galerie. Quel est ton point de vue sur ce sujet ?

Je suis d’abord ravi d’avoir connu la période inverse. C’est-à-dire que, fin des années 90 début 2000, quand tu allais dans une galerie pour exposer, la moitié des gens te riaient au nez. Cela a été une expérience très formatrice.

Les galeristes se demandaient l’utilité d’exposer une œuvre qui était en libre accès dans la rue. Alors que maintenant, la tendance est inversée au point que les galeristes apprécient plus le fait que les artistes bossent toujours dans la rue.

Ce comportement a permis de se forger une conviction, de se remettre en question afin d’en ressortir plus fort. Cela te permet de braver par la suite certains obstacles. Involontairement on reçoit cette violence. Il reste des traces chez certaines entreprises. Tu peux faire une installation chez THG et avoir un passant qui te balance une remarque, cela nous force à garder les pieds sur terre.

 

© THG

© THG

Les jeunes artistes sortant d’écoles et n’ayant pas eu cette expérience de la rue, n’ont donc peut-être pas forcément la même approche par rapport à la critique que quelqu’un qui graffe dans la rue…

Il y a plein de gens qui sont inspirés par la rue. Le propre de la création c’est d’être « World Wild Open ». Si l’on commence à définir des règles, ce n’est plus de la création. Il y a plein de gens qui se revendiquent « street artiste » mais à l’heure actuelle, qu’est-ce que cela signifie ? Un collage dans la rue et ça bombarde sur Instagram… Et des galeries qui n’y connaissent rien ne voient que l’effet de mode du moment.

 

Est-ce que le fait d’avoir été refusé comme ça plusieurs fois dans les galeries t’a motivé à évoluer dans ton travail ? Donner le meilleur de toi-même ou te remettre en question ?

Évidemment. Ce sont les évènements d’un parcours de vie qui m’ont porté ici. La carrière d’un artiste n’est jamais linéaire. Henri Matisse disait : « Le génie c’est la capacité de résistance aux emmerdes. »

Peindre dans la rue m’a stimulé et appris à développer mon travail. Le passage en galerie est complémentaire, il permet de développer ton univers.

 

Le fait de travailler avec des marques de luxe, tu es rentré dans un cercle ou les artistes sont comme des créateurs dans une maison de couture. Est-ce l’objectif quand on vient de la rue ?

Avoir connu ça avant fait que tu n’as pas d’attente. Dans les années 90, jamais nous n’aurions pu le penser. Il y avait une telle fermeture d’esprit que cela était impossible.  On agissait dans l’urgence, de manière illégale, mais ce n’était pas dans nos plans de carrières.

Les jeunes d’aujourd’hui peuvent se dire que cela fonctionne suivant le nombre de followers sur Instagram. Un peu comme les rappeurs de l’époque où il fallait enregistrer sur nos cassettes. Tout le monde courrait pour un cachet. La communication sur les fanzines a ralenti la diffusion au grand public.

 

Comment s’est faite ta rencontre avec THG ? Comment en êtes-vous venu à faire cette collaboration ?

Via l’agence du 14 septembre avec qui j’avais déjà travaillé il y a quelques années dans un autre registre (cuisine). C’est une agence agréable avec qui tu peux travailler sereinement. Cela a été pour moi une découverte de la marque, une rencontre. Tu as le temps, c’est la même démarche que dans la rue, tu travailles in situ. Tu prends en compte l’environnement, les gens, les passants, le contexte. C’était l’occasion d’avoir le temps et de faire les choses bien.

L’objectif était de secouer leur univers. C’était une rencontre contrastée dans le sens ou la personne vient t’apporter quelque chose à laquelle tu ne t’attendais pas. Il y a eu création d’un réel contact.

J’avais carte blanche. J’ai souhaité montrer le côté luxueux de la marque mais également le côté artisan, l’envers du décor. J’ai donc utilisé les robinets que l’on voit sur la cabane tout en dévoilant la phase cachée de ces produits, la partie organique. C’est ce côté fabrication auquel je suis sensible.

 

© THG

© THG

 

Combien de temps a pris le montage ?

À peu près une semaine en jours ouvrés. Je faisais également des sessions nocturnes. Je travaillais 10 heures par jour.

 

Tu préfères travailler de nuit ? 

Mes premières aventures étaient nocturnes. J’ai dû m’adapter mais il y a toujours cet encrage.

 

Tu as utilisé de la peinture à eau ?

En bas sur la vitrine oui, parce qu’il fallait que ce soit éphémère. Mais sinon bombes classiques. En bas j’y allais doucement parce qu’il y avait le contact avec les clients. À l’étage, il reste encore une odeur et cela fait partie de l’installation comme la musique.

Le luxe respecte entièrement l’image de l’artiste. Les valeurs du graff qu’il y avait, on ne les retrouve pas forcément dans la jeune génération. Tous n’ont pas évolué dans la rue. Il ne faut pas que le street art devienne élitiste. Il y a des jeunes qui démarrent le graff en se disant que cela sera leur métier grâce à la démocratisation.

Maintenant, on retrouve tout type de profil, des jeunes, des adultes, des personnes âgées. Parfois, il faut continuer à faire de la pédagogie car tout le monde n’est pas informé.

 

Si tu devais choisir une musique d’ambiance accompagnant ton installation, laquelle serait-ce ?

Desabafo de Marcelo 2D qui est un rappeur brésilien.

 

Est-ce que les murs restent ta surface de prédilection ou ce type de projet t’inspire plus ?

J’ai plutôt tendance ces dernières années à partir vers une synthèse du travail de rue et donc à travailler sur du volume. En plus, dans ce que je représente, il y a naturellement un travail en mode statue qui est assez évident. Mes envies du moment sont d’aller vers le volume. Je réalise des petits totems en bois et en plâtre car j’aime le mélange des matériaux, comme ce que l’on peut retrouver dans la rue ou dans les friches.

Tu es habitué à travailler sur plein de matériaux différents. Il y a une restitution de ce genre d’ambiance mais créée de toute pièce. Tu travailles sur un espace vide alors qu’un mur possède un historique.

 

Du coup la cabane était déjà une idée que tu avais en amont avant de travailler sur le projet ?

Je suis vraiment dans une idée de travailler le volume. Il y avait aussi l’idée de faire une scénographie donc c’est venu naturellement. Le bâtiment ayant été rénové récemment tel qu’à l’époque, c’était l’occasion d’utiliser cet espace afin de créer un contraste.

 

De tes nombreux voyages et rencontres que tu as faits à l’étranger, parce que tu voyages beaucoup : Chine, Moyen-Orient, Amérique du Sud… Quels regards portent les gens, d’une manière générale, sur le mouvement graffiti ?

La rue, par essence, est connectée à toutes les rues du monde. Graffer c’est l’idée de propager, étendre son terrain de jeux. Tu deviens ambassadeur de cette culture. Il y a des réactions communes.

À l’époque des années 90, le graff c’était du lettrage, des personnages. C’était réservé à un public de connaisseurs.

Je voulais décloisonner cela. Le fait de travailler sur les masques c’était compréhensible de tout un chacun. Il s’agit d’une approche culturelle comme au Carnaval de Venise.

 

Quel est le pays que tu préfères parmi tous ces endroits ? 

Dès lors que l’on me donne l’opportunité de m’exprimer comme THG, je serais à l’aise. Donc, tous les endroits où tu peux laisser une trace. Tu fais des rencontres qui permettent de préserver la flamme qui nous a dirigés dans cette branche.

 

Est-ce que tu as des projets pour 2018 dont tu peux nous parler ?

Je vais réaliser une expo à la galerie Ligne 13 de fin novembre à début décembre. Puis, au printemps 2018, il y a le projet avec LAPLACE pour la façade des arrondissements de Paris. Normalement j’aurai le XVème. Il y aura aussi plus tard une exposition à la galerie Strouk.

 

Informations pratiques

Signatures Urbaines

Showroom THG Paris

152 boulevard Haussmann

75008 Paris

Date : Jusqu’au 14 décembre 2017

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