Les roues qui rebondissent sur le bitume, des planches de bois qui virevoltent et des corps qui ondulent librement dans la fraîcheur d’un soir printanier. Sur les bords de la Seine, on s’arrête. Des jeunes, filles et garçons, semblent aussi légers qu’une petite bulle de savon. Comme suspendus dans l’air, ils dansent sur les planches colorées, enchaînent inlassablement les figures, emportés par une cadence enjouée. Le longboard dancing est une discipline émergente dans l’ombre du skateboard. Ce croisement étonnant entre danse et glisse nous plonge dans un spectacle hors du temps. Comme une osmose entre le corps et la planche.
L’émergence d’une nouvelle discipline : la DockSession
Réunis au sein du collectif DockSession, les longboarders parisiens laissent libre cours à leur talent chaque dimanche sur les Quais Anatole-France, en face du Musée d’Orsay. Initié en 2014 par Lotfi Lamaali, professionnel du longboard dancing et ambassadeur de la marque américaine Loaded Boards, la DockSession est un rassemblement hebdomadaire qui crée un lien entre les différentes communautés de longboard à travers le monde. « On est là tous les dimanches », explique Lotfi. « La Docksession est un rendez-vous libre et spontané. Chacun ride comme il l’entend. Les plus expérimentés donnent des conseils aux novices et tout le monde passe un bon moment ». À Paris, l’association compte près de 200 passionnés.
« On essaie de faire en sorte que le skateboard et le longboard soient dissociés. Le longboard dancing est une discipline émergente et à part entière dans le monde des sports de glisse », poursuit-il.
Le longboard dancing attire aussi bien les filles que les garçons. Une mixité appréciée au sein de la culture urbaine. Les corps flottent sur la planche et l’esthétique des mouvements s’acquiert peu à peu.
Une dimension artistique
Avec un peu d’élan et les écouteurs branchés sur une musique chill, les riders tournoient sur eux- mêmes avec souplesse. « Avant, j’étais trop raide sur la planche. Mais en un an de pratique, j’ai pris de l’aisance », remarque un dancer. Ses petits pas de danse habiles sur la planche lui donnent une sensation de liberté et d’apesanteur. Comme une fusion entre le danseur et sa matière première. Devant le hangar métallique et tagué, Charles-Adrien lance sa longboard et la fait tourner entre ses pieds. C’est aussi lui qui fabrique à la main les longues planches de bois, chacune personnalisée. Il a créé sa propre marque Majutsu, imprégnée de culture japonaise. Seul dans son atelier en Champagne-Ardenne, Charles-Adrien élabore des modèles sur-mesures afin de faire évoluer le longboard. Les planches sont fabriquées selon un savoir-faire artisanal et professionnel, offrant à la fois résistance, performance et esthétisme. À l’occasion d’une exposition en 2016, il réalise des collaborations avec des street-artists, dont Noty Aroz. Le duo d’artistes customise alors une longboard en graffant le Murciélago, la divinité issue de Batman et de la Santa Muerte mexicaine.
Le longboard, plus qu’une discipline, c’est un univers technique qui a ses propres règles et son vocabulaire. Lotfi Lamaali, maîtrise sa longboard tel un virtuose. Il multiplie les pirouettes et rattrape avec ses mains sa planche au vol. C’est ce qu’on appelle un aerograb dans le langage des riders. Une seule consigne demeure dans cette communauté longboardienne : une ambiance conviviale. Pour cela, des jam musicaux accompagnent régulièrement les sessions de longboard.
Des événements pour promouvoir le longboard
Au mois de septembre, la communauté organise tous les ans « la Grosse Rando » dans la ville de Paris. Lors de la journée sans voiture, tous les riders se retrouvent pour la plus grosse randonnée de skate de la région, d’environ 18 kilomètres. C’est l’occasion de glisser devant des lieux emblématiques de Paris, comme l’Opéra Garnier, ou la Tour Eiffel. Cette année, l’événement a réuni près de 800 riders venus de toute la France.
« Rouler tous ensemble permet de nous fédérer. On fait toujours des rencontres improbables sur la planche », confie Lotfi. La communauté de longboarders évolue dans un climat apaisé, accueillant et chaleureux. Fédérés autour d’une discipline et d’un lieu, les riders partagent des expériences, tissent des liens et donnent une véritable impulsion à la création artistique.
Et plus encore, le longboard a son propre championnat du monde. Chaque année en avril, les riders les plus talentueux du monde entier se réunissent pour le « So You Can Longboard Dance ? » à Eindhoven aux Pays-Bas. En 2018, c’est Aboubakry Sadikh Seck, un longboard dancer de la DockSession à Paris qui a remporté l’or. Cette année, les épreuves ont eu lieu les 20 et 21 avril, et c’est Jongbin Jo qui succède à Aboubakry.
Cet article, enrichi à l’occasion de l’événement Urban Art Paris x DockSession, a été publié initialement sur le blog Les Echos Décorés,par la même auteure.