{Street art à Séville} – Virginia Bersabé, peindre la mémoire (épisode 2)

Comme tracées au pinceau, deux épaisses lignes noires maquillent ses grands yeux bruns. De part et d’autre de son visage, quelques mèches folles s’échappent de son haut chignon, comme si elle n’avait pas cessé de peindre, une fois de plus, dans un mouvement de va-et-vient perpétuel entre les murs abandonnés et les toiles de son atelier.

Virginia Bersabé – © Francisco Madrid

L’apparence naturelle de Virginia Bersabé, jeune artiste peintre d’origine andalouse, fait écho à sa peinture, à la fois intime, intense et intégrale. « C’est ma grand-mère », prononce Virginia avec émotion. L’Espacio Olvera, petite galerie étroite au cœur du quartier de la Buhaira à Séville, conserve de nombreuses œuvres de Virginia. La jeune femme en déballe quelques unes : des corps nus apparaissent, meurtris par les hématomes. Des peaux blanchâtres, presque transparentes, se fondent avec les objets et les tapisseries en arrière plan, aux couleurs criardes. La perte de la mémoire autour de la figure de la vieille femme, est au cœur du projet artistique de Virginia Bersabé.

Tarde de domingo II, Gouache sobre papel, 22,5 x 29 cm, 2018 – © Virginia Bersabé

De la rue aux Beaux-Arts

« Contrôler la pression de l’aérosol, découvrir des spots abandonnés, peindre vite et courir pour ne pas se faire repérer, sentir l’adrénaline… La rue m’a beaucoup appris. »

A l’âge de 16 ans, Virginia Bersabé prend l’habitude de sortir dans les rues de son village natal Ecija (province de Séville) avec des amis pour recouvrir les murs de lettrages. Des rideaux métalliques des petits commerces aux maisons abandonnées, la jeune fille entre alors peu à peu dans le monde du graffiti. « Parallèlement à l’art urbain, mes deux dernières années de lycée étaient une formation dédiée uniquement à l’art. Puis, je suis entrée à l’Université des Beaux-Arts à Séville durant cinq ans, où j’ai suivi la spécialité ‘Peinture et Sculpture’ », se rappelle la jeune femme. Virginia Bersabé semble trouver sa force en puisant dans ces deux mondes artistiques différents, mais complémentaires : la rue plus spontanée, l’université plus académique.

Récupérer la mémoire des personnes âgées et leur rendre hommage. Telle est l’ambition artistique de Virginia Bersabé. A l’Université des Beaux-Arts, Virginia Bersabé approfondit sa recherche picturale autour de la figure de la femme âgée. « Lorsque j’étais petite, ma mère veillait sur mon père, malade. Ma grand-mère était donc très présente chez moi. Elle a été comme une seconde maman », raconte Virginia. A travers ses peintures, la jeune femme représente des corps nus, décharnés ou bien corpulents, le plus souvent abîmés d’escarres aux teintes violâtres. Allongés dans un lit d’hôpital, mêlés aux champs de la campagne ou aux objets du quotidien, les corps vieillis semblent oubliés, abandonnés. « Ma grand-mère était très pudique et très traditionnelle, mais elle m’a toujours soutenue dans mes études. Peu à peu, elle est devenue mon modèle et a commencé à se dénuder pour que je puisse la peindre. C’était un échange très fort entre elle et moi, évoque Virginia, reconnaissante. Plus tard, ma mère a travaillé dans une maison de retraite. Alors, je l’accompagnais régulièrement pour photographier des parties du corps des résidents volontaires, les mains, les jambes, le dos… et surtout connaître leur vie passée. »

« Tú eres un mapa a flor de piel », Óleo sobre lienzo, 170 x 114 cm, 2014 – © Virginia Bersabé

C’est sans doute son expérience de la rue, de la campagne, de l’espace extérieur, qui l’amène à enrichir sa réflexion autour de la mémoire… Car « avant tout, je viens de la rue, c’est certain », nous précise-t-elle.

« Perdidas en un cortejo andaluz », la mémoire des murs

Neuf ans. Neuf ans que Virginia Bersabé a débuté son projet d’envergure nommé « Perdidas en un Cortijo Andaluz » (« Perdues dans une Ferme Andalouse »), pour redonner vie aux murs abandonnés. « Depuis 2011, je suis en quête d’édifices inhabités dans les campagnes andalouses pour peindre des corps de vieilles femmes, raconte la jeune artiste. Les maisons abandonnées font partie du paysage de mon enfance. »

Projet « Perdidas en un Cortijo Andaluz » – © Pedro J. Sanz

La mémoire des femmes âgées habite désormais les campagnes reculées de la province de Séville. Pour Virgina, il s’agit d’établir un lien entre les murs en ruine avec le sentiment d’abandon dont souffrent ces femmes. « Comme les personnes âgées, chaque mur a sa propre histoire, sa propre vie. Ainsi, avec beaucoup de respect, je m’adapte à la matérialité du mur, à sa forme pour y représenter la perte de la mémoire et tenter de la récupérer », explique-t-elle humblement.

« Comme dans la rue, il s’agit de peindre le plus rapidement possible. »

Son processus de création est similaire à celui déjà pratiqué quelques années auparavant, dans les rues de son village natal. Le travail en amont de la réalisation des fresques est très important : choisir le mur, éditer sur PhotoShop pour avoir une vue générale, préparer les couleurs… et pour finir peindre le plus rapidement possible, car son projet est, bien sûr, illégal. « Je préfère demander pardon que demander la permission », confie Virginia. Une phrase qui résonne comme un précepte dans le monde du graffiti.

Projet « Perdidas en un Cortijo Andaluz » – © Jesús Ostos

A travers son projet, Virginia souhaite aussi rendre hommage à sa culture ainsi qu’à toutes ces femmes ayant travaillé dans les campagnes andalouses.

Pérenniser la mémoire

Virginia Bersabé souhaite aller plus loin dans son projet de représenter la perte de la mémoire. Depuis presque dix années qu’elle peint ses fresques colossales à travers les campagnes andalouses, elle a désormais en tête de rendre pérenne la mémoire de toutes les vieilles femmes ancrées dans la roche des édifices en ruine. « Au terme de mon projet, j’aimerais réaliser un documentaire vidéo pour observer l’évolution des peintures dans le temps, confie-t-elle. Cette année, j’ai commencé à filmer avec une petite équipe. » Le documentaire serait également accompagné d’un livre qui présenterait l’évolution du projet à travers des images ainsi que des textes poétiques.

La carrière de Virginia Bersabé semble donc lancée. En avril, la jeune artiste participera à une exposition collective au Musée Européen d’Art Moderne (MEAM) à Barcelone sur le thème de l’érotisme. En mars, Virginia disposera d’un mur officiel à Ecija pour peindre une fresque, toujours sur le thème de la femme âgée.


Suivre Virginia Bersabé :

Site web : http://www.virginiabersabe.com/index.html

Instagram : @virginia_bersabe

Facebook : https://www.facebook.com/VirginiaBersabeArtistaPlastica/

Twitter : @virginiabersabe

Je tiens à remercier très chaleureusement Virginia pour son temps, son intérêt et son travail. Une discussion que je n’oublierai pas et qui a été tout particulièrement enrichissante, pour moi, Urban Art Paris et mon séjour à Séville.