Écouter le street art : les podcasts comme nouveau terrain d’expression

Au volant de sa voiture, lors d’un trajet en train ou bien en faisant la cuisine, les podcasts dits « natifs » (contenu sonore créé et diffusé exclusivement en ligne et à télécharger) rythment nos moments de vie, et ce de façon grandissante en France depuis quelques années. Des voix, des conversations, des récits de vie, des fictions… les séries de podcasts, aux thématiques originales, semblent combler notre besoin d’histoire. À l’heure où règne la culture de l’image, cette innovation médiatique s’impose comme une nouvelle manière de raconter le monde.

Féminisme, sexualité, écologie, entrepreneuriat… Le podcast fait émerger de nouveaux sujets et de nouvelles voix peu présents dans les médias traditionnels. C’est alors que la thématique du street art fait son apparition. Dégradation des villes pour les uns, embellissement des rues pour les autres, l’art urbain dérange autant qu’il fascine. Les artistes agissent parfois dans l’ombre, en gardant un certain mystère autour de leur identité.

Entre intimité et récit d’un mouvement, il s’agira ici d’analyser la manière dont le format du podcast s’empare du thème du street art. Plusieurs témoignages de créateurs de podcasts (« Qui a tagué Jésus Sauve ? », « Du Mur Au Mic », « Et si Banksy était une femme ? ») ont permis de construire la réflexion.


Dans l’intimité de l’artiste

L’artiste urbain, le street-artiste ou le graffeur est celui qu’on ne voit pas, qui pourtant, fait don de ses œuvres dans l’espace public. Le format du podcast apparaît alors comme un nouveau lieu d’expression pour ces artistes, hors des murs. Si l’art urbain refuse les codes académiques de l’art, le format podcast, lui, brise les codes des médias traditionnels. Un échange plus long, plus intime s’engage, loin des images. « Ce qui manquait au street art, c’est la voix de l’artiste, confie Adrien Terrier, co-fondateur du podcast « Du Mur Au Mic« . Avec la création de notre podcast, on donne la possibilité aux artistes de parler de leur art, de leur background, mais aussi de sujets de société plus larges, comme l’environnement ou le féminisme. »

Lancé en février 2020 par la journaliste canadienne Catherine Dumas et Adrien Terrier de la galerie The Wall 51, « Du Mur Au Mic » s’installe dans l’atelier de l’artiste, en fin de journée, autour d’une bonne bouteille de vin. « Le format podcast est intéressant car il est flexible et décontracté, ajoute Catherine Dumas. L’idée est de créer un espace de parole, où l’artiste se sent à l’aise. » Depuis le lancement des épisodes, JBC, Ardif, Kashink, Jo Di Bona et Madame ont confié au micro leur processus de création, leur univers et leur vocation artistique.

Dans l’atelier des artistes, on raconte aussi des anecdotes, des secrets sur le mouvement artistique, au milieu de quelques rires amicaux. « A travers les entrevues, il s’agit aussi de faire découvrir l’univers caché des artistes, le lieu où ils travaillent en amont », explique Adrien.

A contre-courant de l’effet zapping, le podcast permet un échange plus intime, plus long, en prenant le temps d’expliquer en profondeur le travail des artistes ainsi que l’histoire du mouvement.

Dans le même esprit, le podcast « Face aux Murs » lancé en juillet 2019 par Radio Campus Paris, donne la parole aux artistes urbains de générations différentes. Lima Lima, Raph, Swed Oner ou encore EZK se sont confiés au micro. Dans une entrevue d’une heure, chaque épisode va plus loin en interrogeant les dimensions politiques, sociétales et la place que prend cette forme artistique dans les rues.

Le visuel sonore

Plonger dans l’univers visuel des artistes à travers le son. Telle est aussi l’ambition des différents podcasts qui traitent de la thématique du street art. En mars 2020, la journaliste Elodie Potente et l’artiste toulousaine Popnographe, ont lancé le premier épisode du podcast « Et si Banksy était une femme ? », qui interroge la place des femmes dans le street art. Par le documentaire sonore, elles donnent la parole aux voix féminines inaudibles dans le monde de l’art urbain. « Le podcast est un format accessible, qu’on peut écouter partout, tout le temps, n’importe quand, évoque Popnographe. Il propose un autre angle et permet de faire entendre des voix qu’on entend pas ou peu. » En découvrant des collages dans les rues de Montpellier, Élodie et Popnographe se sont rendues compte que la plupart des artistes étaient des femmes. « On s’est demandé quel le rôle les femmes détenaient dans l’art urbain », poursuit Popnographe. De Montpellier à Paris, en passant par Lyon et Toulouse, le podcast nous immerge dans l’univers singulier des artistes féminines en allant à leur rencontre.

Le format sonore apporte aussi une narration plus immersive. Pendant plus d’un an, le journaliste Arnaud Faura a enquêté sur le mystérieux tag Jésus Sauve !, qui a envahi les rues de Paris dès novembre 2018. Le podcast « Qui a tagué Jésus Sauve ? » tente de découvrir l’identité de l’auteur de ce message. Fanatique religieux ? Ou bien simple graffeur vandale ? Tout au long des 9 épisodes, l’auditeur est plongé dans une intrigue saisissante, entre témoignages de tagueurs, pasteur et vendeur de bombes. « Ce qui était intéressant, c’était de retranscrire des ambiances, explique Arnaud Faura. On arrive à capter les auditeurs, en gardant un mystère. Chacun construit son personnage en fonction de son imagination. » Ainsi, l’auditeur s’autorise à rêver, à maintenir son imaginaire en éveil, en créant ses propres images.

De même, le podcast « Caca sur les murs » par Slate, enquête sur l’identité d’un mystérieux graffeur qui sévit à Rennes avec son blaze « Caca » écrit partout sur les murs. Les épisodes sont construits sur la même narration sérielle, avec une intrigue et des personnages.

Une large communauté d’auditeurs

« La première question à se poser quand on se lance dans la création de podcasts, c’est le public »

Adrien Terrier

Que l’on soit novice ou passionné du mouvement street art, le podcast devient un véritable outil de démocratisation. « Notre but est d’aller chercher la communauté street art, mais aussi les novices dans le but de faire découvrir les artistes et l’univers de l’art urbain en général », confie Adrien Terrier du podcast « Du Mur Au Mic ». A ce jour, le podcast compte plus de 300 écoutes sur chaque épisode.

Média du temps long, le podcast – qu’il soit au format interview, reportage ou bien documentaire – donne des clés de compréhension du mouvement street art, crée des ponts avec d’autres courants artistiques, s’inscrit dans des sujets de société plus large. Accessible à tous, partout, tout le temps, le podcast s’envisage alors comme une véritable innovation dans l’art.


Les podcasts à écouter :