Une « dent-creuse » dans le lexique des urbanistes et des architectes, c’est un espace entre deux immeubles dans l’alignement de la rue, qui a été détruit et dont il ne reste comme une dent cassée ou extraite, que le trou. En décembre 2015, les fondateurs de la Friche des 3 Couronnes ont trouvé la clé sur la porte. Il s’agissait de l’équipe du B.L.O.C. (Bâtiment Libre Occupé Citoyennement) et des membres de l’association de secours aux sans-abris, « Les Enfants du Canal ».
Le Bloc a été cette aventure d’environ un an, dans l’ancien bâtiment de la Direction Régionale des Affaires Sociales, un paquebot de béton vers la station de métro Pré-Saint-Gervais, dans laquelle se sont retrouvés des artistes et des personnes précaires pour en faire un lieu alternatif qui a fermé ses portes en décembre 2013.
Il y avait déjà sur les fonds baptismaux de La Friche, l’idée re-remplir un vide, donc, spécifiquement permettre aux sans-logis de bénéficier d’un accueil et dans certaines conditions, d’un gîte. En cinq ans, ce sont 25 personnes qui en ont bénéficié, avant de retrouver un logement pérenne.
Mais aussi l’idée d’un lieu d’expression artistique ouvert sur le quartier, celui du « triangle d’or de l’art urbain », compris entre le M.U.R. Oberkampf, celui de COST rue de la Fontaine-au-Roi et la rue Dénoyez. Ainsi, le pote-à-G s’occupe du jardin en sa qualité d’ancien «green-keeper» sur plusieurs golfs. Paddy délivre des cours de pochoirs. Heaven vous invite à la technique du Blockletter. Paulo entreprend une fresque à l’intérieur. Le mur extérieur de La Friche, fait l’objet d’un nouvel évènement tous les mois, avec un nouvel artiste invité à « faire le mur ».
C’est un lieu atypique. Laulau, le green-keeper intarissable en anecdotes, est une des personnalités phares.
Par ailleurs, c’est aussi un écrin pour la peinture urbaine contemporaine avec des signatures parmi lesquelles une superbe pièce de Mesa, les gardiens de la galaxie de Seyar, les portraits de Yosh et de Paddy, la frise de El-Mout-Mout, celle de Zoyer, de Team, la pièce emblématique de Dante et Cannibale Letters, la planche à stickers, les interventions de Moano.
Au milieu de décor, vous évoluez entre le pied de sauge, les massifs, le figuier, le banc des écoles du 20ème, la table centrale où le café est fumant et le plaisir de savourer un lieu où le temps s’est arrêté, axé sur une manière alternative de le partager, comme l’expression d’une parole ouverte tant du point social qu’artistique. La couronne de Jean-Michel Basquiat étant passé couramment dans le vocabulaire graphique des graffeurs, La Friche en mérite bien trois.
Fait plus étrange, La Friche a cessé de recevoir des personnes pour un abri temporaire, à partir du décès dans ses murs de l’artiste Marie Rouffet, en janvier 2019. Marie Rouffet a été un compagnon de Miss-Tic à la fin des années 80, il s’est imposé dans sa façon d’installer ses pochoirs toujours en triptyque. Il a participé à la scène alternative de l’époque, à travers différents squats parisiens, comme la rue des Cascades, la rue Blanche, la rue Dénoyez, etc.
Les passants s’arrêtent parfois à la faveur de la boite-à-livres et restent deux heures sur place. Les permanences sont le samedi de 14h00 à 17h30. On est heureux de revenir, pour s’échanger les bons tuyaux sur les dernières peintures, d’amener un groupe d’amis en goguette, de retrouver la convivialité de ces endroits inédits qui, à la vérité, font Paris !
Photo à la Une : © Gibi de Belleville
Sigismond Cassidanius