Street art engagé : sur les traces des Femen avec Mahn Kloix

Les Femen, activistes aux seins nus qui militent pour les droits des femmes, ont marqué les rues de Paris par leurs actions retentissantes, que ce soit place du Trocadéro, de la Bastille, à la Madeleine, place des Vosges,…  C’est pour retrouver et réveiller ces fragments de mémoire que l’artiste Mahn Kloix est parti à leur rencontre. A la croisée du militantisme et du street art,  il a collé dans la capitale neuf portraits dessinés par ses soins, représentant les Femen en action, dans neuf lieux différents. Nourri de ses expériences personnelles, inspiré par son quotidien et animé de certains questionnements, l’artiste assimile sa création à « une démarche instinctive ». Il nous en dit plus lors de cette interview.

 

Mahn-Kloix-2-HD

TROCADERO [ 6 mai 2015 ] Lors de l’interruption par trois membres de Femen du discours du 1er mai 2015 de Marine Le Pen place de l’Opéra, des membres du service d’ordre du FN évacuent violemment les jeunes femmes, sous les cris de « On est chez nous ! » et les applaudissements de la foule rassemblée. Toutes françaises, sauf Inna Shevchenko qui n’était pas présente lors de l’action du 1er mai, elles répondent six jours plus tard en postant sur Facebook une photo prise place du Trocadéro où elles arborent sur leur corps le slogan « On est chez nous ». (portrait collé le 09 février 2017 © Charlotte Ricco)

Peux-tu nous raconter comment s’est formée la collaboration avec les Femen ?

Il s’agit d’un projet réalisé à mon initiative.  En avril 2016 j’ai contacté Inna Shevchenko, militante ukrainienne à l’origine du mouvement Femen, aujourd’hui réfugiée à Paris, et Sarah Constantin, également membre active du groupe. Je les ai ensuite rencontrées pour leur présenter mon travail et leur proposer de faire quelque chose ensemble. C’était vraiment un choix personnel que d’explorer ce sujet.

Tu as bercé dans le militantisme via tes parents, est-ce que cela t’a influencé dans la création ?

Il existe pleins de facettes comme beaucoup de choses que chacun vit. Oui, j’ai baigné dans une ambiance militante avec des parents engagés mais ce sont aussi les sensibilités personnelles de chacun qui comptent. La question du féminisme est quelque chose qui m’a toujours touché et cela n’a rien à voir avec mes parents. Cette question me taraude depuis que je suis petit et j’avais envie d’échanger là-dessus. En discutant beaucoup avec mes amies et ma nana,  je me suis rendu compte de ce que vivent certaines personnes.  Beaucoup de choses ne sont pas normales. C’est ce qui m’a attiré.

Pourquoi avoir choisi les Femen ?

Il y a avant tout quelque chose de très graphique. Pratiquant moi-même les arts visuels, il existe ce premier lien basique. Ensuite j’ai beaucoup lu sur le sujet. Je sais d’où elles viennent et je trouve assez courageux la manière dont elles s’y prennent. Même si leurs méthodes sont critiquées, tout le monde les connait. C’est le cas de toutes les personnes à qui je me suis adressé en France. Elles ont réussi un coup d’éclat médiatique assez bluffant. Cela amène beaucoup de curiosité en termes de message, de communication, de visibilité. « Qu’est-ce que ça veut dire ? Comment 5 nanas sont connues partout sur la planète ? » Je trouve ce phénomène intriguant.

PLACE DE L’OPERA [ 1 mai 2015 ] Trois militantes Femen ont interrompu le discours de Marine Le Pen place de l'Opéra à Paris. Munies d'une fusée de détresse et d'un mégaphone, elles ont crié "Heil Le Pen", avant d'être évacuées par le service de sécurité frontiste. (portrait collé le 09 février 2017 © Charlotte Ricco)

PLACE DE L’OPERA [ 1 mai 2015 ] Trois militantes Femen ont interrompu le discours de Marine Le Pen place de l’Opéra à Paris. Munies d’une fusée de détresse et d’un mégaphone, elles ont crié « Heil Le Pen », avant d’être évacuées par le service de sécurité frontiste.
(portrait collé le 09 février 2017 © Charlotte Ricco)

Comment ont été orchestrées tes actions ?

J’avais envie de travailler à Paris. Il se trouve que les Femen ont fait beaucoup d’actions sur les places parisiennes donc ça s’y prêtait. Elles ont ceci-dit mené beaucoup plus d’actions que celles que j’ai moi représentées. La première étape a donc été de choisir les lieux et les symboles. Ce travail de recherche a été fait en amont. Je me suis beaucoup aidé de Street View pour trouver les meilleurs endroits.

En ce qui concerne l’action artistique en tant que telle, cela a été assez rapide. J’ai fait beaucoup de repérages avant pour savoir où coller de manière à ce qu’on comprenne. J’ai analysé le lieu mais aussi anticipé sur ce qu’il va rester derrière. S’agissant de grandes places parisiennes, cela allait être vite nettoyé. J’ai pensé également à la photo qui allait être prise de sorte à ce qu’elle puisse fonctionner. C’est finalement le seul élément qui reste après.

Peux-tu me parler de la technique ?

Tout a été réalisé à Marseille dans mon atelier. Ce sont des collages faits à partir de dessins réalisés à l’encre, sur un fond blanc.

Quelle est ta vision de l’art, le vois-tu comme figuratif ou serviteur d’une cause ?

Je conçois difficilement l’idée d’un art pur. L’histoire de l’art s’appelle ainsi car l’art est lié à l’histoire. C’est pareil dans mon travail. Je ne peux pas faire quelque chose qui soit détaché du monde dans lequel je vis. J’utilise le vecteur artistique pour exprimer des pensées sociales, politiques, philosophiques… Je fais les choses parce que j’ai envie de les faire. Ce n’est pas juste de l’esthétique pour de l’esthétique. J’attache beaucoup d’importance au message exprimé. C’est pour cela aussi que je fais ça dans la rue, c’est pour que ce soit vu.

GRANDE MOSQUEE DE PARIS [ 3 avril 2013 ] Trois féministes du mouvement des Femen ont brûlé le drapeau salafiste devant la Grande Mosquée de Paris pour exprimer leur solidarité avec une militante tunisienne et dénoncer les atteintes aux droits des femmes dans les pays arabo-musulmans. (portrait collé le 10 février 2017 © Charlotte Ricco)

GRANDE MOSQUEE DE PARIS [ 3 avril 2013 ] Trois féministes du mouvement des Femen ont brûlé le drapeau salafiste devant la Grande Mosquée de Paris pour exprimer leur solidarité avec une militante tunisienne et dénoncer les atteintes aux droits des femmes dans les pays arabo-musulmans.
(portrait collé le 10 février 2017 © Charlotte Ricco)

En parallèle de la rue, est-ce que tu poursuis aussi un travail d’atelier ?

Je commence à en faire un peu pour financer mes projets. Cela dit je ne vis pas de ça, j’ai un autre métier à côté.

 

As-tu des projets à venir dont tu souhaiterais nous parler ?

Je prépare actuellement des portraits. Ils ne feront pas partie d’une série comme ceux des Femen mais vivront plutôt individuellement.

J’ai pleins de noms de gens sur lesquels j’ai envie de travailler. Je lis beaucoup la presse et il y a une histoire qui m’a touché récemment. Il s’agit de deux filles qui ont fui Dubaï. Deux lesbiennes, toutes jeunes. Je vais travailler sur leur portrait. Elles ont fui puis raconté leur histoire.

Ton approche s’apparente finalement à celle d’un journaliste ?

Sur chaque projet j’ai des journalistes qui m’aident, que ce soit dans la recherche, dans l’écriture,… Je travaille aussi avec les photographes de presse. Je rentre en contact avec eux et leur demande si je peux travailler sur leur photo et m’en inspirer.

Histoire de finir sur une note ludique, et de mieux te connaître, je vais te donner 5 mots qu’il faudra associer à une image ou au symbole de ton choix. C’est parti ! 

Liberté : un drapeau

Art : une main

Monde : un cercle

Femmes : des yeux

Justice : un combat

 

Plus d’information :

 

Diffusé sur YouTube, un film est également disponible pour suivre les différentes étapes du projet. Il retrace les collages faits à Paris, les interview des Femen Inna Shevchenko et Sarah Constantin,… Ce documentaire a été réalisé par Elodie Sylvain et coproduit avec les réalisatrices de [P]ose ta bombe, Elodie Sylvain et Charlotte Ricco. Par ici pour tout voir : https://www.youtube.com/watch?v=9p00E3SL8SU

 

Liens de l’artiste :

www.mahn.fr

www.facebook.com/mahnkloix

www.instagram.com/mahnkloix

 

Mahn-Kloix-9-HD

ASSEMBLÉE NATONALE [ 18 novembre 2012 ] 9.000 catholiques ont répondu à l’appel de l’institut Civitas, proche des milieux intégristes, pour protester contre le projet de loi mariage pour tous, le 18 novembre 2012. Les Femen font irruption dans le cortège qui vient de se former. Habillées en nonnes, elles retirent leurs tee-shirts et aspergent le cortège à l’aide d’extincteurs domestiques sur lesquels elles ont inscrit “Jesus’ Sperm” ou “Holy sperm”. (portrait collé le 09 février 2017 © Charlotte Ricco)