Rencontre avec Der et Soone, pionniers du graffiti toulousain

En marge du vernissage de leur exposition commune « Duo Show » qui a lieu actuellement dans la galerie ADDA&TAXIE jusqu’au 2 mars prochain, nous avons rencontré les artistes Der et Soone. Ces pionniers du graffiti toulousain, actifs depuis presque 30 ans, sont aujourd’hui en mesure de vivre de leur passion, en faisant évoluer leur style avec un plaisir toujours intact.

Toulouse : leur berceau commun

Pour les deux artistes, tout a commencé à Toulouse. Ils ont réalisé leurs premiers tags et graffitis dans la fin des années 80, au sein du collectif Truskool. Ce dernier était composé de Der, Soone mais également Tilt, Tober et (beaucoup) d’autres. Comme l’explique Der, « On a commencé à peindre ensemble, à réaliser des fresques et c’est devenu Truskool. Truskool c’était vraiment du pur graffiti. » Le premier amour des deux artistes, c’est le graffiti, et donc le lettrage. Soone détaille : « Je trouve que l’essence même du graffiti c’est souvent de faire du lettrage. »

Malgré leurs parcours longs et riches, Toulouse a toujours occupé une place particulière pour les deux artistes. Ils ont fait leur premières armes dans cette ville, que ce soit sur la rocade ou le quartier Arnaud-Bernard (dans lequel ils sont revenus plus tard, comme détaillé par la suite). Leur parcours et leur aventure sont d’ailleurs présentés dans le livre d’Olivier Gal, intitulé « Truskool, une histoire du graffiti à Toulouse« .

Fresque réalisée à Toulouse pour les 7 ans de la Truskool en 2002

Grâce à ce collectif (et d’autres artistes emblématiques de la scène toulousaine), Toulouse est aujourd’hui une place forte du graffiti et du street art en France. La ville accueille notamment le festival Mister Freeze, au succès grandissant comme le précise Soone : « L’année dernière il y a eu 27000 personnes, cette année 60000 personnes qui sont venues. » Cet éclairage a aussi permis au street art et au graffiti d’entrer en galerie, ce que Der considère comme une évolution logique du mouvement : « Ils [les galeristes actuels] sont nés avec, ils évoluent avec, donc ils sont aussi attirés. Et quand ils achètent une toile de untel ou d’untel, ils n’achètent pas que l’œuvre mais aussi un moment de leur vie d’une certaine façon. Donc c’est normal que ça progresse dans cet état d’esprit.« 

Aujourd’hui, les deux artistes sont ravis de se retrouver pour cette première exposition commune. Celle-ci permet de comprendre mieux leur évolution respective, avec des inspirations diverses livrant un ensemble intriguant et hétérogène.

Des styles différents et des techniques mixtes

Aujourd’hui, Der est encore très attaché au lettrage : « J’aime le graffiti et le graffiti c’est les lettres, donc je les travaille et je les fais évoluer et évoluer. » Initialement, il réalisait des wildstyles, toujours dans l’idée de trouver son propre style. Ce n’est qu’au bout de quelques années que le déclic a eu lieu : « Un jour, j’ai vu une pièce d’un graffeur qui s’appelait Delta et qui était un des premiers à faire de la 3D. Je me suis dit que c’était ça que je voulais faire et qui m’intéressait. A partir de là, j’ai commencé à travailler le volume et mes lettres. »

Le volume et la 3D représentent effectivement l’immense majorité de son travail, réalisé à « 85% » à la bombe, de son propre aveu. Il lui arrive également de travailler à l’acrylique, « mais c’est uniquement parce que je travaille chez moi sur ma terrasse et qu’il fait super froid » confie-t-il en riant.

Il ne reste cependant pas enfermé sur le support classique de la toile, n’hésitant pas à travailler sur des bombes ou des plaques de plexiglas. Le rendu est extrêmement coloré et détaillé, avec des références évidentes aux années 80 comme Goldorak. Malgré des formes que l’on peut identifier, l’important pour Der reste de travailler la 3D et le volume de ses lettres, et il estime qu’une évolution est toujours possible. Il précise également l’intérêt des toiles pour lui : « C’est limité en taille mais c’est un travail qui est plus personnel et plus poussé. Tu vas plus te prendre la tête pour réaliser des détails que tu peux réaliser sur toile et que tu ne pourras jamais réaliser sur un mur.« 

GolDERak Dripping, Der – Bombe aérosol sur toile (80 x 120 cm)

Le travail en galerie de Soone ne ressemble en rien à celui de son compète, si ce n’est la richesse des couleurs. Soone a monté une marque de vêtements (Bullrot) dès 1995 avant de partir pendant 10 ans en Chine (entre 2005 et 2015). Le graffiti avait alors une place secondaire : « A partir de 1998, j’étais trop occupé, je faisais à peu près un graff par an. » Ces influences asiatiques l’ont beaucoup inspiré et nourri. Aujourd’hui, on retrouve des motifs réccurents dans ses oeuvres exposées : le samouraï, les fleurs japonaises ou des animaux asiatiques. Le Japon est l’expérience qui l’a le plus marqué : « Que tu le veuilles ou non tu es inspiré, aspiré par ce qui t’entoure. J’allais pas mal au Japon […] et ça m’intéresse. » En Chine en revanche, il a parfois eu du mal à s’exprimer. Il raconte l’anecdote suivante, lors d’une exposition à Shenzen en 2011 : « Le public n’était pas prêt et c’était hyper intéressant ce qu’il s’est passé. […] Pas mal de visiteurs chinois qui sont venus et ils sont tellement enfermés dans les codes.[…] Je me suis fait engueulé parce que j’avais fait des dragons japonais et pas des dragons chinois. » Sa volonté de revenir en France et vivre de son art se comprend d’autant plus.

Indépendamment des murs qu’il prend toujours un grand plaisir à investir, ses oeuvres en galerie se concentrent sur la céramique. Son travail est extrêmement méthodique et lui permet d’être très productif : « Je dessine, soit au crayon soit à l’ordinateur. En fait, je dessine sur un papier transfert avec des encres à céramique un peu spéciales, qui saturent un peu les couleurs, qui rendent ça très dynamique. Et je les cuis carreau par carreau après, et je recompose ma mosaïque après sur des planches de bois. » Le rendu est assez saisissant, avec un haut niveau de détail et de précision. Qu’importe la taille du support, il arrive toujours à garnir méticuleusement ses oeuvres riches et colorées.

Tigers, Soone – Encres emaillées sur 8 carreaux de céramique (91 x 71 cm)

L’importance de s’amuser

Un aspect semble primordial pour les deux artistes : prendre du plaisir. Leurs débuts remontent à une trentaine d’années, mais leur passion est toujours intacte. Selon Der, « Je pense que si on fait de la peinture depuis autant de temps, c’est parce que c’est vraiment ancré en nous, c’est vraiment quelque chose qu’on a envie de faire en fait. » C’est pourquoi ils apprécient toujours autant revenir à leurs racines, à savoir Toulouse et le graffiti. Pour Soone, rien ne vaut la spontanéité devant un mur : « Tu as cet emplacement avec toute la forme un peu bizarre du mur et tu dois t’adapter vis-à-vis du mur, et j’ai toujours aimé ça.« 

En 2017, 7 artistes de la Truskool (Soone, Der, Tilt, 2Pon, Cee-T, Tober et Siker) se sont d’ailleurs réunis afin de réaliser la plus grande fresque du centre-ville de Toulouse. Les deux artistes ont beaucoup aimé l’expérience : Soone confie « c’était top » et Der renchérit « on est toujours dans la rue pour le fun, pour s’amuser.« 

Fresque commune des artistes de la Truskool, réalisée dans le quartier Arnaud-Bernard à Toulouse (juin 2017)

Dans la continuité de ce travail collaboratif, les deux artistes étaient ravis de se retrouver après toutes ces années. Der appuie : « Oui, ça nous faisait plaisir de travailler ensemble, puisqu’en fait on se connait depuis très très longtemps mais on n’avait jamais réalisé d’exposition ensemble. Donc quand Valériane (ndlr : galeriste chez ADDA&TAXIE) nous a proposé, on a sauté sur l’occasion et nous avons été très heureux d’accepter cette offre. »

Leurs travaux sont complémentaires et leur oeuvre commune montre une fusion de styles assez inédite, qu’ils ont le plaisir d’exposer aujourd’hui. Et Soone de confirmer : « Avec Eric [Der] on a toujours eu des rapports simples et à l’initiative de Valeriane et Anna (ndlr : galeristes chez ADDA&TAXIE), je suis ravi de faire cette expo-là, parce que ça nous réunit et il y a un très bon esprit.« 

A gauche : Dercadia Dripping, Der – Bombe aérosol sur toile (80 x 120 cm)
A droite : Green Flower, Soone – Encres emaillées sur 8 carreaux de céramique (91 x 71 cm)

En résumé, c’est Soone qui explique le mieux pourquoi il apprécie son quotidien : « La vie est simple : il y a les gens avec qui tu te fais chier, et les gens avec qui tu t’éclates et voilà. [rires] Moi j’ai décidé de m’éclater. »

Retrouvez Der et Soone sur leurs réseaux respectifs :

« Duo Show », exposition commune de Der et Soone jusqu’au 2 mars

Galerie ADDA&TAXIE, 35 avenue Matignon 75008 Paris,