L’art du carnet de voyage par Mr Wassup

Certains voyagent avec un carnet d’aquarelles pour croquer le monde du bout de leur pinceau, d’autres croquent sur le monde du bout de leur caps, sur des métros, des murs. Wasp, graffeur d’origine russe, nous livre son carnet de voyage sur un Instagram qui effeuille un quotidien rythmé des diverses destinations imprimées sur les billets d’avion qu’il semble collectionner. Mais plus que d’être uniquement un carnet de voyage, ces photos sont prises dans un enjeu artistique.


J’ai l’impression que nous sommes en vacances depuis des mois, qu’elles ont débutées il y a six mois et que depuis mars, tout n’est plus qu’un long mois d’août. Depuis la quarantaine j’aborde parfois dans mes articles l’aspect dépaysant de certains comptes Youtube, ou Instagram de writers du bout du monde. Du bout de ce monde que nous ne pouvions visiter lorsque Schengen était fermé et qui, depuis le déconfinement, n’est pas encore complètement ouvert. Je vais donc réitérer en cette période estivale mes propos : oui, il est dépaysant de regarder des instagrams de writers à Miami ou Jakarta. Je revois en souvenir le film du nouvel an berlinois où  sous les cieux traversés des éclats d’un feux d’artifice, les 1UP peignent un métro à quai, devant les yeux écarquillées des passagers. Je revois également les plages d’Odessa des photos de Kivi ou d’Honolulu dans celles de San. Dans ces comptes, les photos ne sont plus uniquement d’importantes prises de vue documentaires, documentant de façon frontale la peinture si le recul lui offre cette possibilité. Ces comptes se nourrissent à l’avenant de photos d’actions, d’ambiances, de portraits. 

© @mr.wassup

Parmi eux, il y a celui de Mr. Wassup, il abrite des block letters lovés en Europe, Asie ou en Amérique du sud. Si certaines photos montrent des lettres campant sur des modèles de trains italiens, allemands, suédois, de bateaux balinais ; graciées sous les cieux indonésiens, où les ombres des palmes viennent zébrer leurs couleurs étalées sur des murs. La plupart des photos les documentant semblent être jalousement conservées à l’abris des regards importuns. De ses lettres se prélassant sur un train à Sao Paulo, nous ne pourrons apercevoir qu’une prise de vue panoramique de la ville agrémentée d’un sibyllin commentaire ; de celles sur un métro moscovite, que la tête intacte de la machine rompant les lignes de fuite de son écrin tubulaire. Wasp crée une atmosphère mystérieuse autour de ces lettres.

Des énigmes rompues que Wasp semblent préférer entretenir d’entractes poïétiques (étude du processus créatif). Des pixels jaillissent les étincelles d’une disqueuse rencontrant une porte de métro, un nuage de peinture rendu visible par une ampoule luisant dans un tunnel de métro quelque part dans le monde. Ces photos délocalisent la réception de l’œuvre pour mettre en scène le processus créatif. Elles libèrent la peinture de l’esthésis (la réception de l’œuvre) d’une prise de vue frontale où elle nous regarde despotiquement, perchée sur son trône. Comme une anamorphose, ces prises de vues créent une nouvelle perspective où le bleu du ciel joue avec l’obscurité des labyrinthes du métropolitain, où l’horizon recueillant le soleil brise celle du carrelage de ses stations. Où le regard d’une spectatrice vêtue ou non d’un bikini vient abolir l’aridité d’une photo purement documentaire. Elles contextualisent la peinture et en racontant ce qui se passe autour de sa création, elles la rendent plus vivante. 

La poïésis exacerbe ces prises de vue où l’on voit les peintres accéder par des entrées parfois très étroites, des tubes verticaux parfois vertigineux, des chemins parfois interminables le long des voies ferrées, au support interdit comme un fameux fruit… Ces photos saisissent ces attitudes calculant les paramètres d’espace et de temps afin de mesurer leur œuvre sur la démesure des métropoles et de leur dédales ; captent la gestuelle de la peinture agrandie par la taille de l’œuvre, monumentale, sur un support l’étant tout autant ; saillent une chevauchée sur la tête de cet immense cheval de fer reposant sous étroite surveillance dans sa souterraine écurie ; et les derniers shots de cette escape interceptés ; nous pourrions penser que le processus créatif s’arrête là. A la sortie de cet l’atelier improvisé, cet espace hétérotopique où le quotidien semble être mis sur pause. Mais l’air de la surface ne peut annoncer la fin de cet acte proche de l’interventionnisme des artistes des années 1970 et le (re)-commencement du quotidien. 

© @mr.wassup

En réalité cet air compose sa continuité, la suite logique du processus créatif qui se nourrit de la vie, qui ne peut être confiné dans le huis clos de l’atelier. Cette série de photos composant l’insolite carnet de voyage de Wasp, peuvent être prises le long d’un chemin côtier, le virage d’une route escarpée, un parking privé. Ce making off auquel les passagers ou promeneurs devenus spectateurs n’ont pas accès lorsqu’il emprunte ces lieux modifiés par un autre passager ou promeneur pas tout à fait comme les autres, ne sont pas juste des documents bonus. Il donne vie à la peinture en révélant l’entièreté du processus performatif, et du contexte complet et complexe du peintre. Elles révèlent l’évolutionnisme de la modification opérée par le peintre. La pièce ne jaillit plus spontanément sur le support comme un acte créationniste, elle s’élabore dans la vie. Cet ordinaire qui nourrit cette peinture, qui finit par prendre possession de lui, et le modifier par sa présence. En substituant l’habituel réceptacle de la noblesse d’une toile pour en faire son support, pourrions-nous envisager que la transposition de cette peinture dénote d’une volonté d’anoblir le journalier ?


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