OEUVRES DE « STREET ART » : DE LA RÉPRESSION DU DROIT PÉNAL À LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

« Le street art tient, peut être finalement, à son côté acidulé, décalé, ironique ».


Didier Guével

La première réponse du droit à celle qui était vue comme une forme de « art-anarchie » a été d’ordre pénal. Loin d’être considérés comme des artistes, les auteurs de « street art » étaient perçus comme ne faisant d’autre chose que dégrader les espaces publics et pour cela étaient l’objet de plaintes et réprimandes. L’intérêt grandissant du marché de l’art pour ces œuvres, contenant souvent des revendications sociales puissantes, a changé la donne.


Encore en 2016, après une plainte de la SNCF, le célèbre « street artist » Chat était condamné à 500 euros d’amende pour avoir « dégradé » la palissade des travaux à la Gare du Nord.
Cependant le « street art » est désormais de plus en plus considéré comme un patrimoine à sauvegarder d’autant que dans de nombreuses villes les agents municipaux « ont des consignes pour ne pas retirer les œuvres du moment qu’elles ne gênent pas« , comme l’indique Martine Aubry pour Lille. Cela rappelle sans doute l’accident qui est survenu en février 2016, quand le service de nettoyage d’une commune a effacé une œuvre commandée par la même ville à un célèbre « street artist ».

La valeur marchande élevée de certaines de ces œuvres et la passion qu’elles suscitent auprès des collectionneurs, ont fait des envieux qui parfois n’hésitent pas à les dégrader ou à les voler afin de les garder ou de les revendre. Le vol de ces œuvres n’est pas une nouveauté, des artistes de la carrure de Basquiat en avaient déjà été victimes dans les années ’80 à New York. Cependant ce débat reprend aujourd’hui de l’ampleur en France suite au dépouillement de plusieurs œuvres dont celle volée en septembre dernier, que Banksy avait apposée au dos d’un panneau du parking souterrain du Centre Pompidou en hommage au « berceau de l’art du pochoir moderne ».


Rat de Banksy à Beaubourg ©Instagram/Banksy

Le vol d’une œuvre de « street art » porte bien évidemment atteinte à son esprit en ce qu’elle est faite pour être exposée dans un espace public et être visible par le plus grand nombre de personnes possible. Mais peut on considérer que cela va également contre le droit de l’artiste et lui accorder donc une protection par le biais de la propriété intellectuelle ?

I. La reconnaissance du droit de l’artiste.

A. La qualification de l’œuvre de « street art » en tant qu’ouvre de l’esprit

La question liminaire tient à la qualification de l’œuvre de « street art » comme une œuvre de l’esprit. Ce qui complique cette tâche c’est qu’aucune définition d’œuvre de l’esprit n’est donnée par le Code de la propriété intellectuelle qui dans son article L111-1 se limite à indiquer que l’auteur de celle-ci jouit sur sa création d’un « droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Tandis que l’article L112-2 du même code, reporte une liste non exhaustive des œuvres protégeables.

Ainsi il faut se référer à la doctrine et à la jurisprudence, qui ont dégagé l’originalité et la mise en forme, comme les critères qui définissent l’art. Or, ces critères ont grandement évolué et le « street art » y répond désormais incontestablement. C’est un art inassimilable aux autres et qui pourtant les résume tous en ce qu’il est le résultat de l’utilisation de nombreuses techniques qui peuvent rappeler pour exemple le fresco des peintres du Moyen-Age, le travail des mosaïstes, mais également parfois la bande dessinée, etc. Dans cette pratique on peut remarquer l’influence du droit qui a parfois poussé les artistes à coller des papiers pré-dessinés plutôt que de dessiner directement sur le mur car les sanctions sont moins lourdes. En outre le juge a pu estimer que même le choix de l’emplacement constitue un critère d’originalité des œuvres de « street art ». D’autre part, si l’on considère que pour qu’il y ait une forme d’expression artistique ce n’est pas suffisant qu’il y ait une inspiration mais qu’il faut également un travail construit (et une fonction), on remarquera que certaines œuvres de « street art » impliquent une minutieuse préparation comme c’est le cas pour les œuvres d’art plastique traditionnelles. Quant à sa fonction, cette pratique démocratise l’art en la rendant accessible à tous et en embellissant les lieux parfois les plus dégradés de la ville. Telle est la conception qu’on en a aujourd’hui et même si lors d’un contentieux c’est au juge de trancher et décider s’il s’agit d’une œuvre d’art ou non, ce qui a pu être critiqué, ces professionnels du droit hautement instruit n’appliquent pas comme auparavant des jugements stricts mais promeuvent une rencontre adéquate entre l’art et le droit.

B- La Propriété de l’œuvre de « street art »

La question de la propriété de l’œuvre surgit du fait qu’en général le « street artist » intervient sur un support, public ou privé, qui ne lui appartient pas. En faisant appel aux textes on remarque que l’article L111-3 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle distingue entre « la propriété incorporelle définie par l’article L111-1 » et « la propriété de l’objet matériel ». Dans le cas du « street art » donc, le propriétaire du bien sur lequel l’œuvre est apposée acquière, par le biais du mécanisme de l’accession, la propriété du support matériel de l’œuvre mais le monopole d’exploitation et le droit moral reviennent à l’artiste. Ce dernier ne perd donc pas ses droits sur l’œuvre du seul fait de sa réalisation dans la rue, et ce, qu’elle soit signée avec un pseudonyme ou pas signée du tout. Cela n’est en effet pas une entrave à la reconnaissance des droits de l’artiste, comme prévu par l’article L113-6 du Code de propriété intellectuelle.
Par ailleurs, le caractère illégal de l’œuvre n’a pas d’impact sur la propriété de celle-ci. En effet, lorsqu’elle n’a pas été commandée, l’œuvre de « street art » n’est pas illicite dans son contenu mais dans la forme dont elle est réalisée. Ainsi, le caractère illicite de l’œuvre ne semble pas tant poser des problèmes quant à sa qualification en tant qu’oeuvre de l’esprit mais plutôt quant à l’exploitation de ses droits par l’auteur.

II. La mise en œuvre de la protection du droit de l’artiste par le biais de la propriété intellectuelle.

A. Le souhait de protection de la part de l’artiste

Doit-on protéger les artistes qui ne le veulent pas ?

Si le droit est reconnu encore faut il se demander si le sujet souhaite en bénéficier ou non. Ainsi, il convient de se poser la question de savoir si on doit protéger les artistes lorsque ceux-ci ne le veulent pas. En pratique c’est très rare qu’un artiste porte plainte en cas de vol de son œuvre car ce n’est pas dans l’esprit du « street art ».

A priori le « street artist » ne revendique pas un droit exclusif sur sa création mais plutôt une liberté d’expression. C’est pourquoi, généralement dans le « street art » on ne prévoit ni contrat ni rémunération. En effet, cette pratique ne prévoyait pas d’emblée la présence d’une quelconque reconnaissance envers l’artiste. Par ailleurs, l’œuvre est à la merci de tout le monde qui peut s’en emparer, la « remodeler », la superposition d’œuvres étant fréquente dans le « street art », et même la dénaturer. En substance on a tendance à considérer que l’œuvre de « street art » appartient à tous.

Ce don/abandon de l’œuvre par l’artiste implique ainsi généralement une absence de protestation de sa part en cas de destruction ou vol de l’œuvre, et son éventuelle exposition dans un musée peut être vue avec bienveillance car dépourvue de but commercial. Ce qui ne semble pourtant pas admissible pour certains « street artist » c’est la vente, puisqu’ils considèrent que cela dénature l’esprit non seulement de leur œuvre mais également du concept de « street art ». A cet égard on ne peut que penser à l’autodestruction de l’œuvre de Banksy provoquée volontairement par ce dernier lors d’une vente chez Sotheby’s en octobre 2018.

Ainsi, bien qu’il soit fort légitime de considérer que les « street artistes » puissent être reconnus et rémunérés afin de vivre de leur art, ce qui apparaît clairement c’est aussi la nécessité de préserver la nature de leur œuvre.

B. La protection de l’œuvre de street art peut conduire à la dénaturer ?

Les caractères éphémère et risqué du « street art ».

S’il est certain qu’à ce jour il y a de plus en plus de commandes d’œuvres de « street art », on a pu estimer que ces œuvres doivent nécessairement avoir une composante de transgression concernant les supports mais également les thèmes développés. En effet, le caractère risqué et parfois dangereux de cette pratique, qui a pour conséquence le geste rapide et la réalisation spontanée, semble essentiel.

Par ailleurs, les artistes qui choisissent d’apposer leurs œuvres dans un espace public prennent clairement le risque que celles-ci puissent être abîmées ou volées. Ils considèrent que le caractère éphémère fait partie de la nature de leur œuvre et c’est cette dernière qu’ils souhaitent protéger, parfois au-delà de leurs intérêts économiques. Cela ne veut pas dire que ce caractère éphémère, empêche de protéger les droits des artistes, mais dans les faits, certains d’entre-eux n’ont aucune intention de lever l’anonymat pour engager une procédure en cas de vol ou dégradation. C’est encore une fois le cas de l’artiste Banksy, dont la phrase « Copyright is for losers » est devenue célèbre, qui n’a pas porté plainte pour le vol de son œuvre en septembre dernier. L’unique action en justice qui a été effectuée est celle du Centre Pompidou qui n’étant cependant pas propriétaire de l’œuvre, n’a pu que porter plainte pour dégradation du panneau sur lequel elle avait été réalisée. Un autre « street artist » extrêmement reconnu, Jeff Aérosol, est parvenu à faire réitérer des ventes aux enchères une de ses œuvres, volée dans la rue, dans l’unique but d’en préserver la nature. Un autre exemple est celui de l’artiste Invader qui en 2013 avait intenté un procès pour contrefaçon contre deux hommes qui avaient descellé l’une de ses mosaïques, la contrefaçon était ici entendue non pas comme une reproduction de l’œuvre mais comme une atteinte à l’esprit de celle-ci. Toutefois, le tribunal correctionnel avait rejeté la requête en estimant que « il n’était pas établi que les prévenus avaient une quelconque intention de diffuser l’œuvre«  et qu’aucun élément ne permettait de prouver qu’ils voulaient « la revendre comme une œuvre de chevalet« .

Space Invader

A cet égard il est nécessaire de préciser qu’en droit français le droit d’auteur n’a pas seulement vocation à protéger les intérêts patrimoniaux de l’artiste mais il a aussi une forte dimension extra patrimoniale en ce qu’il prend en compte le droit moral de l’artiste. Si une œuvre de « street art » est reconnue comme une œuvre de l’esprit elle pourra finalement être protégée en tant que telle et non comme une marchandise.


Article publié initialement sur Villagejustice.com par Ilaria Greta de Santis, juriste.


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