A l’occasion de l’exposition « Harmonies » qui se tient à la galerie Adda & Sarto jusqu’au 16 octobre 2020, Urban Art Paris a rencontré les artistes du collectif espagnol Boa Mistura, qui exposent pour la première fois à Paris. Créateurs de liens sociaux dans l’espace public, les artistes donnent cette fois-ci à réfléchir sur le concept d’harmonie. Entre formes et couleurs, « Harmonies » est un voyage au cœur de notre propre intériorité pour y trouver l’équilibre.
Pouvez-vous vous présenter et présenter le collectif Boa Mistura ?
Nous sommes quatre amis de longue date, on s’est rencontrés dans notre quartier, dans la banlieue de Madrid, en peignant des graffitis quand nous avions 15 ans.
Pablo Purón est illustrateur, Pablo Ferreiro a étudié le graphisme, Juan a fait les Beaux-Arts et Javi est architecte. Nous avons pris ce nom en 2001 et depuis 2010, nous nous consacrons corps et âme à notre passion : la peinture de rue.
Boa Mistura signifie « bon mélange » en portugais. Quel genre de mélange ?
Un mélange dans lequel chaque ingrédient met en valeur l’autre sans lui enlever ses qualités.
Il y a beaucoup de couleurs dans chacune de vos peintures. On observe aussi une superposition des lettres au contour simple et efficace. Quel est l’objectif ? Y a-t-il une volonté d’émancipation ou de renouvellement du graffiti ?
Notre origine et nos racines viennent du graffiti, et nous en sommes profondément fiers. Mais la vie est une évolution et donc un changement.
Les motivations que nous avions en 1997 lorsque nous avons commencé à peindre étaient différentes de celles que nous avions en 2001 lorsque nous nous sommes réunis, ou en 2005, en 2010 et, bien sûr, en 2020.
Maintenant, nous ne sommes plus intéressés à imposer seulement notre nom, nous préférons travailler avec d’autres types de concepts car nous cherchons avec notre travail à établir un dialogue avec le public, et pour que cette conversation s’établisse, nous devons tous les deux manipuler les mêmes codes. Nous utilisons moins de sprays et plus de rouleaux, parce que nous aimons créer notre propre gamme de couleurs et parce que l’échelle de nos travaux est plus facile avec des outils plus grands.
Il n’y a pas de volonté préconçue d’abandonner le graffiti, ni même de le renouveler, cela tient plus à notre évolution personnelle et artistique et à la façon dont nous concevons le travail dans l’espace public.
Quand on est face à vos œuvres, on ressent une sensation d’onirisme, d’utopie, et même un éloignement avec la réalité. Quelle est votre intention dans l’espace public ?
Notre intention est de proposer une réflexion sur le moment que nous vivons. Notre dernier travail « empatía » porte sur la nécessité de ce concept dans un moment de pandémie mondiale. Nous le faisons en utilisant des mots et des couleurs. En Algérie, dans la casbah, on travaillait strictement avec la couleur blanche parce qu’on ne trouvait pas d’autres façons de faire. À Madrid, pendant de nombreuses années de répression politique contre les expressions dans l’espace public, la seule couleur que nous avons utilisée était le noir.
En Amérique latine, il est impossible de ne pas être séduit par les roses saturées, les turquoises, les jaunes et leur relation avec le vert du paysage. En Afrique, les combinaisons sont plus primaires. Nous avons remarqué tout cela et avons adapté l’idée à ces codes de couleurs.
Comment travaillez-vous dans la rue ? Quels sont les rôles de chacun ? Les méthodes de travail ?
Il n’y a pas de formule mathématique. Les stimuli externes sont mélangés grâce à des conversations avec les habitants, qui nous donnent leur propre vision de ce lieu, et à une étude plus intime du contexte historique, politique et culturel du lieu. Nous parlons, discutons et conceptualisons le travail.
Selon le contexte, on ouvre le processus de création de l’œuvre à la population locale et au grand public. Nous avons appris que lorsque les gens s’engagent dans un processus créatif, ils ressentent le travail comme le leur et modifient leur façon de se comporter par rapport à leur environnement. Cela renforce les liens avec leur espace de vie et ajoute une couche sociale au travail qui l’enrichit.
« Harmonies » est votre première exposition à Paris, à la galerie Adda & Sarto. En quoi se différencie-t-elle de votre travail dans l’espace public ?
« Harmonies » est née d’un contexte historique aussi marqué que la Covid19 et la restriction de la mobilité. Nous avons passé les dernières années à sauter d’un endroit à l’autre, exposés à des millions de stimuli, de personnes et de cultures, et à y réagir immédiatement.
L’impossibilité de quitter la maison, de voyager, nous a amenés à nous enfermer dans notre studio. Maintenant, les stimuli viennent de l’intérieur et la réaction a été évidemment différente, plus intime, introspective et à plus petite échelle. Ce processus, nouveau pour nous, a été très intéressant et nous a permis d’ouvrir des espaces de réflexion que nous voulons continuer à cultiver car ils enrichissent et nourrissent notre travail dans l’espace public et vice versa.
Que signifie « Harmonies » pour vous ?
« Harmonies » montre un voyage intérieur, en visitant les concepts essentiels qui nous définissent en tant qu’êtres humains et l’équilibre qui doit être établi entre eux.
Dans cette introspection, chaque couche est en relation avec les autres par une juxtaposition synesthétique de formes et de couleurs qui composent l’harmonie.
Comment définiriez-vous vos œuvres conçues pour l’exposition ?
C’est un travail très intime, méticuleux, d’apparence abstraite mais avec un grand message. Ce sont des œuvres qui ont plusieurs lectures : d’abord la relation entre ses parties au niveau plastique, puis la découverte du concept qui contient chacune des œuvres et enfin, dans son intégralité.
En quoi consiste votre intervention publique avec le Centrequatre-Paris, en ce moment ?
Nous travaillons place Charles Monselet, dans le 19ème arrondissement. C’est un grand mur de béton sur lequel nous allons bientôt lire RENCONTRE avec le travail de superposition des lettres que nous sommes en train de rechercher.
Au début de l’année, nous avons visité plusieurs écoles et planifié certaines activités avec des groupes locaux. Sur la base de ces informations, nous avons élaboré deux lignes de travail qui ont été soumises à un vote public. RENCONTRE a gagné. Le processus de travail comprend plusieurs jours au cours desquels les voisins et les groupes locaux sont invités à participer. La première a eu lieu ce samedi et un grand nombre de personnes sont venues.
Une fois que la grande intervention sera prête, nous en ferons une autre à plus petite échelle, dans des escaliers situés dans la même zone. Le processus sera le même.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Si la situation sanitaire le permet, nous irons à Berlin et nous reviendrons en Espagne à la mi-novembre. Ensuite, nous avons plusieurs engagements en Espagne et nous voulons réserver les mois de janvier et février pour poursuivre l’étude dans la ligne des harmonies.
Infos pratiques :
ADDA & SARTO
35 Avenue Matignon
75008 PARIS
Ouverture au public :
du mardi au samedi de 11h30 à 19h30.
Lundi sur rendez-vous.